jeudi 15 octobre 2020

Kajillionaire, de Miranda July: les petites horreurs

 

J'aime à vivre dangereusement, et, quelle chance! l'époque que nous vivons nous fournit en abondance des occasions de nous mettre en danger, sans même avoir à construire un radeau pour remonter l'Amazone ou un dirigeable pour observer les variations du pôle magnétique.
Pour ressentir le frisson de l'aventure interdite, à présent il suffit d'aller faire ses courses ou de commander un demi dans un bar.
Moi j'ai relevé un défi encore plus fou: j'ai choisi d'aller au cinéma!
Je suis allé voir Kajillionaire, le troisième long métrage de Miranda July.
Je vous rassure tout de suite: le danger que j'ai affronté n'était pas si terrible que ça, mes chances de survie étaient élevées: dans une salle de taille moyenne  (et désinfectée plusieurs fois par jour, une affichette à l'entrée en donnait l'assurance),  j'étais le seul spectateur.
Que voulez-vous, Miranda July, it's an acquired taste.
Le bon côté de la situation, c'est qu'en matière d'application des consignes de sécurité, on ne pouvait pas faire plus.
Pour ceux de nos lecteurs qui n'auraient pas eu de temps à consacrer à l'étude des mathématiques superfluides, rappelons qu'un kajillion, c'est un jilliard de tripallions. Ça permet d'exprimer des sommes de beaucoup d'argent. Quiconque devient kajillionaire peut avoir tout ce qu'il veut dans la vie.
C'est ce qui arrive aux deux protagonistes du film, Old Dolio et Mélanie: à la fin, à la dernière image (après qu'elles aient surmonté bien des épreuves, c'est un film d'aventures et de suspense, quand même!) elles ont exactement ce dont elles ont envie, juste au moment où elles en ont envie, comme si elles étaient devenues kajillionaires (d'où le titre, qu'il faut donc entendre dans un sens métaphorique, pas littéral).
C'est du Miranda July tout craché: Miranda July est quelqu'un qui possède, à la fois, une sensibilité exacerbée qui lui permet de percevoir mieux que beaucoup d'autres les petites horreurs de la vie quotidienne, et un profond optimisme.
Qui s'intéresserait à la genèse de l'histoire racontée dans ce film pourrait aller fouiller dans un des livres récents de Miranda July: Il Vous Choisit, un mélange de reportage et d'autofiction, dans lequel elle racontait ses entrevues avec des gens qui avaient passé des annonces dans un hebdomadaire spécialisé dans les ventes entre particuliers. Des gens qui voulaient vendre une veste en cuir, une peinture sur velours ou une collection de bibelots. Pour pouvoir acheter un vélo ou changer la suspension de l'entrée, ou pour d'autres raisons. Ce qui conduisait Miranda à se demander: qu'est-ce que ça vaut, les choses? Pourquoi les gens en ont envie? Pourquoi un jour ils n'en ont plus envie?
Elle se pose à nouveau ces questions dans le film, où elles en rejoignent d'autres, dont je vous laisse la surprise (j'ai résumé en quelques mots les grandes lignes du film, sans spoiler, j'espère que je vous ai donné envie de le voir).
J'ai acquis le goût de Miranda July (je vous ai prévenu, it's an acquired taste) il y a déjà quelques lustres de ça, d'abord en découvrant son blog, aujourd'hui défunt et remplacé par ce site
Puis de fil en aiguille, comme on dit, sur une longue période, j'ai lu ses livres, vu ses films, et je suis bien décidé à continuer.
Entendons-nous bien: je ne suis pas en train d'essayer de vous vendre Miranda July, je ne veux pas dire que ses recueils de nouvelles sont du niveau des Villes Invisibles, que ses romans peuvent se comparer au Voyage au bout de la nuit ou ses films à Citizen Kane: on pourrait même dire qu'ils ne seront pas forcément au goût de tout le monde. 

Non, j'ai eu envie d'écrire ce billet juste parce qu'à chaque nouvelle rencontre avec Miranda July je ressens à nouveau la bouffée de sympathie que m'avait inspirée la fille qui, il y a quinze ans, écrivait des messages au marqueur sur le dessus de son réfrigérateur, les prenait en photo puis les effaçait à l'alcool pour en écrire d'autres;  parce que chacune de ces nouvelles rencontres me rappelle que je suis content que Miranda July existe.
Et savoir que quelque part sur cette planète il y a un être humain qu'on est content qu'il existe, ce n'est déjà pas mal.

 

Miranda July, Kajillionaire,
un film avec Evan Rachel Wood et Gina Rodriguez
A Plan B / Annapurna Production, 2020

Et si vous êtes curieux: Miranda July, Il Vous Choisit, un livre avec des gens.

Miranda July (photos de Brigitte Sire),
Il Vous Choisit (It Chooses You, McSweeney’s, 2011)
traduction de Nicolas Richard,
Éditions Flammarion, 2013.
ISBN 978-2-08-127811-0


4 commentaires:

Michael Leddy a dit…

I don't know anything about her, but if you can get the Criterion Channel, there's a fair selection of her short films available, at least for a while: criterionchannel.com.

Tororo a dit…

Thanks a lot, Michael!
I keep reading and hearing praise for Criterion, either for their DVD releases and their streaming service. Following your advice, I went to their channel and sadly found out that my ages-old browsers were not supported by it...
... one of the many things in my life that need updating!

Pascale a dit…

Moi aussi je suis heureuse que Miranda July existe. Tu aimes vivre dangereusement, moi j'aime être émue voire pire. Ce film m'a bouleversée.

Tororo a dit…

Alors nous nous retrouverons sans doute autour d'autres films! Bonne soirée Pascale.