lundi 30 décembre 2019

Le drone qui plantait des arbres


Et maintenant, un conte d'hiver, pour finir, comme le veut la tradition, l'année au coin du feu.

L'Homme qui plantait des arbres est une nouvelle écrite en 1953 par Jean Giono pour « faire aimer à planter des arbres », selon ses termes. Dans ce court récit, le narrateur évoque l'histoire du berger Elzéard Bouffier, qui fait revivre sa région, en Haute Provence, entre 1913 et 1947, en y plantant des arbres.
À l'origine commande du magazine américain Reader's Digest, en février 1953, sur le thème « Le personnage le plus extraordinaire que j'ai rencontré » ("The Most Unforgettable Character I've Met"), le texte, soumis en anglais, fut, après quelques tergiversations, refusé par le magazine "en raison du doute sur l'existence du personnage d'Elzéard Bouffier" (scrupuleux, le magazine chargea des envoyés spéciaux d'enquêter sur place).
Si, comme le déclara plus tard l'écrivain, l'œuvre est pure fiction, pour donner un nom à son berger taciturne, Giono n'a pas eu à chercher bien loin: il n'aurait eu qu'à changer quelques lettres au nom de l'illustre Elzéard Rougier, le poète des santons (un nom connu de tous à Manosque, mais qui peut-être n'évoquait rien pour les responsables du Reader's Digest: au contraire de l'éditeur américain, le lecteur provençal se dit qu'en usant d'un artifice aussi visible pour son public habituel, Giono voulait dès le départ signaler la nature fictive de son personnage). Giono accueillit favorablement la proposition de l'édition américaine de Vogue de le publier  à titre gratuit, en laissant planer le doute sur le statut du texte; par la suite Giono déclara renoncer à tous droits d'auteur sur cette nouvelle, et en encouragea toutes les réimpressions (et il y en eut beaucoup: ce serait, estime-t-on, l'ouvrage de Giono le plus traduit dans le monde et le plus médiatisé).


En ce moment un groupe de passionnés canadiens cherche un financement participatif pour lever une escadre de drones éduqués à survoler les gastes landes et à les bombarder de semences d'arbres, prêtes à germer.

Qu'est-ce que je pense de ce projet? J'éprouve, à vrai dire, des sentiments un peu mêlés.
D'un côté, quitte à construire des drones, autant les employer à ça qu'à peigner les girafes.
D'un autre côté, les gens qui ont eu cette idée ont l'air bien sympathique (ils ont aussi l'air d'être tout acquis à des idées typiques de leur génération: je me demande ce que c'est que cette "secret sauce" dont ils parlent avec tant de gourmandise, et dans laquelle ils entendent tremper leurs graines); ils se donnent beaucoup de mal pour convaincre les donateurs que leur projet a été précédé de toutes sortes d'études préliminaires afin de lui assurer les meilleures chances de succès.
Mais cela voudrait-il dire que nous avons déjà renoncé à "faire aimer à planter des arbres" comme le rêvait Giono - je veux dire, planter avec les mains? Serait-il désormais plus réaliste de faire appel à des drones que d'essayer de recruter des volontaires pour aller enfoncer des glands et des faines  au flanc des collines? Un financement participatif pour offrir à ces volontaires des sandwichs, en compensation du temps qu'ils consacreraient à ce projet, serait-il voué à l'échec? jugé pas assez innovant?


Faites-vous vous-mêmes une opinion: je me contente de vous signaler l'existence de ce projet. Et non, je ne pense pas que ce soit une fiction déguisée "à la Giono".


 
Au moment d'entrer dans le tube qui me ramènera à mon conapt au 517e étage de la résidence Castleview-in-the-Sky, dans le dédale aérien qui domine Néo-Frisco, je me retourne vers la Nova Express Cruiser dont la luminescence s'atténue peu à peu tandis qu'elle refroidit lentement dans le garage. 
Un mouvement de tendresse irraisonnée me pousse à poser la main sur la carrosserie pailletée comme la gaine d'une des sirènes à mi-temps de Las Vegas. Elle est encore tiède comme le flanc d'un mustang, et mon geste sentimental se termine en caresse. 
Quand j'étais jeune, il y a un siècle déjà (comme le temps passe), les véhicules volants appartenaient à l'univers de la science-fiction: pour leur apparition dans notre vie quotidienne, on citait des dates prudemment situées dans un futur aléatoire: 1975! 1996! 2001! 2019!… Mais personne n'émettait de doute sérieux sur le fait que ce serait le moyen de transport idéal pour ramener les citoyens du futur de leur bureau à Vancouver à leur domicile en Californie, ou à leur résidence secondaire sous l'eau bleue du golfe du Mexique.

À nous qui, enfants, lisions avidement Amazing Stories, ça nous a semblé terriblement long de devoir attendre, pour piloter les voitures volantes promises, le début de cette époque fabuleuse: le vingt-et-unième siècle! Et puis, en cinquante ans, la magie s'est un peu dissipée, l'enchantement un peu terni, surtout pour les nouvelles générations. Je trouve que j'ai eu de la chance de vivre assez vieux (je devrais dire assez jeune, puisque mon assurance - je la paie assez cher pour ça! - me donne droit au traitement réjuvénateur standard tous les six mois) pour assister à tous ces changements et les apprécier pour ce qu'ils furent. 

Bientôt on installera partout des cabines de téléportation et les Buick Galaxyclash aux miroitantes calandres holographiques, on ne les conduira plus entre les flèches des buildings que lors des parades de Thanksgiving, puis un jour elles finiront dans des musées virtuels, fantômes désormais entièrement convertis en hologrammes.
 

Je me demande à quoi ressemblerait la planète si nous avions fait des choix différents. Il y a eu, je m'en souviens - c'était il y a longtemps - un projet pour faire reboiser par des robots les contreforts des Rocheuses, et aussi, je crois, les rives des Grands Lacs - et puis… on a préférer affecter les rangers mécanoïdes à d'autres tâches jugées plus urgentes. 
Qui sait? S'il y avait encore des arbres en Amérique du Nord, on ne serait pas obligé, si on veut voir un peu de verdure, de s'inscrire sur liste d'attente pour des vacances sur le plateau de Roraïma. Bien sûr, on a eu raison d'entourer ce qui reste de la forêt amazonienne d'un champ de force, pour tenir à l'écart les braconniers et les coupeurs de bois clandestins: même s'il n'y avait pas eu l'argument économique du pactole que représentent aujourd'hui les vacances vertes, on ne pouvait pas laisser ces gens faire n'importe quoi. Une bonne partie des habitants de la planète se comportent encore de façon irresponsable. Les drones sont mieux employés à signaler l'usage illégal du bois comme combustible domestique dans certaines régions arriérées. 
Pourtant… qu'est-ce que ça donnerait, si on replantait ici et là  quelques arbres? Le croiriez-vous, j'ai une amie (une "vieille" amie - elle a mon âge) qui cultive des tomates dans sa bulle au-dessus de West Chicago! Et ça pousse! Elle garde secrète la formule des nutriments qu'elle utilise, mais quand on y pense, ce ne doit pas être si compliqué que ça. J'essaierai bien, moi aussi, quand je prendrai ma retraite… mais ça, pour le moment, je n'y pense pas (qui y pense sérieusement, d'ailleurs, alors qu'on a encore Mars à terraformer? Rien que là, il y a du boulot pour tout le monde, pour un siècle ou même deux, en attendant qu'on s'attaque à la terraformation de Proxima Centauri IV et VII, les prochaines sur la liste).

Warning: fiction inside!

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