jeudi 31 octobre 2019
mardi 22 octobre 2019
Cheval su par cœur (choses pas vues, 6)
Nous marchions jusqu'au coin de la rue où elle me laissait, elle revenait alors sur ses pas, s'attardait dans la rue qui menait au fleuve en face de notre maison de campagne, en jouant, me disait-elle, avec un cheval appelé Brinco; de mon côté, occupée à jouer aux billes ou à manger des fruits, je passais le temps sans m'occuper de ce que faisait ma sœur.
Parfois, il pleuvait, mais cela n'empêchait pas que la scène se répétât.
Nous rentrions à la maison trempées et notre mère nous mettait en pénitence. Parfois, le visage collé aux barreaux de la grille, j'essayais d'apercevoir Brinco. Je savais qu'il était noir et avait une tache blanche sur le front, je savais qu'il était sauvage et qu'il avait une queue et une crinière ondulées.
(Ejércitos de la oscuridad, date de rédaction 1969-1970,
première publication Editorial Sudamericana, 2008)
traduction d'Anne Picard,
Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2018
ISBN 9752721006813
Libellés :
choses pas vues,
jeux,
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Ocampo,
rêveries
vendredi 18 octobre 2019
Le rêve de sable
En 1977 Borges donna à Buenos Aires une série de sept conférences: elles seront par la suite éditées sous le titre Sept Nuits, après avoir subi de la part de Borges une révision minutieuse qui cependant ne cherche pas à masquer le style parlé de ces causeries: les répétitions, les cassures dans certaines phrases. La deuxième, le 17 juin, traite du cauchemar - non sous l’angle de la psychanalyse ou de la neurologie, mais sous celui de la littérature. Le rêve, Borges aime à y insister, appartient au monde de la création artistique, et, comme tel, présente des caractéristiques stylistiques qui lui sont propres.
Un cauchemar […] qui fit l’admiration de De Quincey se trouve dans le second volume de The Prelude, de Wordsworth*. Celui-ci nous dit qu’il était préoccupé - et cette préoccupation est surprenante si l’on pense qu’il écrivait au début su XIX° siècle - du danger qu’encouraient les arts et les sciences, qui étaient à la merci de n’importe quel cataclysme cosmique.
[…]
Wordsworth nous dit qu’il se trouvait dans une grotte devant la mer, qu’il était midi, qu’il lisait dans le Don Quichotte, un de ses livres préférés, les aventures du chevalier errant que narre Cervantes. Il ne le mentionne pas directement mais nous savons de qui il s’agit. Il ajoute: "Je laissai le livre, je me mis à réfléchir: je pensai, précisément, à cette question des sciences et des arts puis ce fut l’heure." L’heure intense de midi, la chaleur étouffante de midi et Wordsworth, assis dans sa grotte, face à la mer (alentour il y a la plage, les sables jaunes), se rappelle:
"Le sommeil s’empara de moi et je me mis à rêver. "
Il s’est endormi dans sa grotte, face à la mer, parmi les sables dorés de la plage. Dans son rêve, le sable l’environne, un Sahara de sable noir. Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de mer.
Il est au centre d’un désert - dans un désert on est toujours au centre - et il se demande, terrifié, comment s’échapper quand il s’aperçoit que quelqu’un est près de lui. Fait étrange, c’est un Arabe de la tribu des Bédouins, monté sur un chameau et tenant une lance dans sa main droite.
Sous son bras gauche, il serre une pierre et dans sa main un coquillage.
L’Arabe lui dit qu’il a pour mission de sauver les arts et les sciences et il lui approche le coquillage près de l’oreille: le coquillage est d’une extraordinaire beauté. Wordsworth nous dit qu’il a entendu la prophétie ("dans une langue que je ne connaissais pas mais que je compris"). C’était une sorte d’ode passionnée, prophétisant que la Terre était sur le point d’être détruite par un déluge qu’envoyait la colère de Dieu.
L’Arabe précise que c’est vrai, que le déluge approche mais qu’il a, lui, une mission à accomplir: il doit sauver les arts et les sciences.
Il lui montre la pierre. Et cette pierre, curieusement, est la Géométrie d’Euclide sans cesser pour autant d’être une pierre.
Puis il lui tend le coquillage et le coquillage est aussi un livre, c’est le livre qui lui a annoncé ces choses terribles. Le coquillage est toute la poésie du monde y compris, pourquoi pas? le poème de Wordsworth.
Le Bédouin lui dit:
"Je dois sauver ces deux objets, la pierre et le coquillage, ces deux livres."
Il tourne la tête et Wordsworth, à ce moment donné, voit le visage du Bédouin changer, se remplir d’effroi. Il regarde à son tour derrière lui et voit une grande clarté, une clarté qui a déjà inondé la moitié du désert. C’est celle des eaux du déluge qui va détruire la Terre. Le Bédouin s’éloigne et Wordsworth constate que ce Bédouin est aussi Don Quichotte et son chameau, Rossinante, et que, tout comme la pierre est un livre et le coquillage est un livre, le Bédouin est Don Quichotte, il est, à la fois, ces deux choses et aucune des deux.
Dans cette dualité réside l’horreur du rêve. Wordsworth alors se réveille en poussant un cri car les eaux l’ont atteint.
Je crois que ce cauchemar est un des plus beaux de la littérature.
[…]
Wordsworth nous dit qu’il se trouvait dans une grotte devant la mer, qu’il était midi, qu’il lisait dans le Don Quichotte, un de ses livres préférés, les aventures du chevalier errant que narre Cervantes. Il ne le mentionne pas directement mais nous savons de qui il s’agit. Il ajoute: "Je laissai le livre, je me mis à réfléchir: je pensai, précisément, à cette question des sciences et des arts puis ce fut l’heure." L’heure intense de midi, la chaleur étouffante de midi et Wordsworth, assis dans sa grotte, face à la mer (alentour il y a la plage, les sables jaunes), se rappelle:
"Le sommeil s’empara de moi et je me mis à rêver. "
Il s’est endormi dans sa grotte, face à la mer, parmi les sables dorés de la plage. Dans son rêve, le sable l’environne, un Sahara de sable noir. Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de mer.
dans un désert on est toujours au centre |
Il est au centre d’un désert - dans un désert on est toujours au centre - et il se demande, terrifié, comment s’échapper quand il s’aperçoit que quelqu’un est près de lui. Fait étrange, c’est un Arabe de la tribu des Bédouins, monté sur un chameau et tenant une lance dans sa main droite.
Sous son bras gauche, il serre une pierre et dans sa main un coquillage.
L’Arabe lui dit qu’il a pour mission de sauver les arts et les sciences et il lui approche le coquillage près de l’oreille: le coquillage est d’une extraordinaire beauté. Wordsworth nous dit qu’il a entendu la prophétie ("dans une langue que je ne connaissais pas mais que je compris"). C’était une sorte d’ode passionnée, prophétisant que la Terre était sur le point d’être détruite par un déluge qu’envoyait la colère de Dieu.
L’Arabe précise que c’est vrai, que le déluge approche mais qu’il a, lui, une mission à accomplir: il doit sauver les arts et les sciences.
Il lui montre la pierre. Et cette pierre, curieusement, est la Géométrie d’Euclide sans cesser pour autant d’être une pierre.
Puis il lui tend le coquillage et le coquillage est aussi un livre, c’est le livre qui lui a annoncé ces choses terribles. Le coquillage est toute la poésie du monde y compris, pourquoi pas? le poème de Wordsworth.
Le Bédouin lui dit:
"Je dois sauver ces deux objets, la pierre et le coquillage, ces deux livres."
Il tourne la tête et Wordsworth, à ce moment donné, voit le visage du Bédouin changer, se remplir d’effroi. Il regarde à son tour derrière lui et voit une grande clarté, une clarté qui a déjà inondé la moitié du désert. C’est celle des eaux du déluge qui va détruire la Terre. Le Bédouin s’éloigne et Wordsworth constate que ce Bédouin est aussi Don Quichotte et son chameau, Rossinante, et que, tout comme la pierre est un livre et le coquillage est un livre, le Bédouin est Don Quichotte, il est, à la fois, ces deux choses et aucune des deux.
Dans cette dualité réside l’horreur du rêve. Wordsworth alors se réveille en poussant un cri car les eaux l’ont atteint.
Je crois que ce cauchemar est un des plus beaux de la littérature.
*Wordsworth, The Prelude, livre cinquième, 50-150.
Jorge Luis Borges, Le Cauchemar,
dans Sept Nuits (Siete noches, 1980)
traduit par Françoise Rosser,
L'idée de ce billet m'a été suggérée par un billet récent d'un autre blog, Le tour d'écran.
Et le désert choisi pour l'illustrer fut dessiné par Hugo Pratt - qui d'autre?
dimanche 13 octobre 2019
Et c'est tout.
Je relis mon dernier billet, et je m'aperçois, à ma grande confusion, qu'il y a longtemps que je n'ai pas partagé avec vous une de ces recettes de cuisine qu'il m'arrive de trouver dans des livres.
Voici un menu très simple trouvé dans un livre de recettes de Philippe Annocque.
S'alimenter, se reposer, se laver, faire ses besoins, se distraire et - dans une moindre mesure - communiquer avec ses semblables, voilà ce dont tout un chacun a besoin. Ce n'est pas la peine de chercher: il n'y a pas d'autre besoin.
Quand on a été très heureux, on en a encore moins.
Se reposer, tout de même.
Et aussi, mais de temps en temps seulement,
manger.
Et c'est tout.
Philippe Annocque, Vie des hauts plateaux,
Louise Bottu, 2014
ISBN 979-10-92723-06-9
lundi 7 octobre 2019
Roulé dans la farine
On me signale que certains lecteurs,
intrigués par la lecture du billet précédent,
se demandent ce que c'est qu'un merluchon.
Un merluchon, c'est comme une merluche, mais en plus potelé.
Pour vous familiariser avec cet hôte des mers (et des poëles à frire)
voici une recette de
MARC, THANKS FOR ALL THE FISH.
le Merluchon à ma façon
Ingrédients
Un beau merluchon
Un couteau aztèque
Poivre, une pincée
Un gros œuf
Farine: quantum satis
Huile d'olive
Prenez un beau merluchon à l'œil vif.
L'œil vif, c'est important. |
Écaillez-le, enlevez les ouïes, ouvrez-le côté ventre de la tête à la queue pour en sortir l'arête et laissez dégorger quelques heures; trempez-le dans l'œuf battu et roulez-le dans la farine.
Précipitez-le dans une poële où frissonne de l'huile d'olive.
La recette sur le dos du poisson, c'est pratique. |
Servez chaud ou froid, ça ne peut plus lui faire ni chaud ni froid au poiscail, pécaïre.
Images © Marc Saffioti.
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