mardi 4 juin 2019

Grains de poussière dans un rayon de soleil (Hammershøi, 1)


Je suis comme les odes de Cowley, 
m'écrivit-il de Longford le 6 mars 1939
Je n'appartiens pas à l'art, 
mais à la pure histoire de l'art.
Jorge-Luis Borges,  
Examen de l'œuvre d'Herbert Quain.


Herbert Quain est mort à Roscommon: j'ai constaté sans étonnement que le supplément littéraire du Times lui consacre à peine une demi-colonne de piété nécrologique, dans laquelle il n'y a pas une seule épithète laudative qui ne soit corrigée (ou sérieusement admonestée) par un adverbe.
Presque aussi mélancolique que celle du biographe de Quain est la constatation que fait Poul Vad*, spécialiste de Vilhelm Hammershøi, au sujet de la fortune critique du peintre danois:  Admiré et célébré de son vivant, on se mit très vite à lui dénier toute importance réelle, ne lui attribuant tout au plus que quelques lignes dans les ouvrages d'histoire de l'art et ne le nommant qu'avec une sorte de respect détaché.

Les peintures de Hammershøi ne se laissent pourtant pas facilement oublier par ceux qui ont, une fois, succombé à leur fascination. Il y a deux ans, nous avions remarqué ensemble, vous vous en souvenez peut-être, de frappantes citations visuelles de toiles de Hammershøi dans un film de Terence Davies (film qui, lui, mérite bien d'être oublié).

Nous avons tous fait une nuit ou une autre, je pense, un rêve de cette sorte: ouvrir, dans un appartement que nous croyons connaître par cœur, une porte qui donne sur une enfilade de pièces dont nous avions, jusque-là, ignoré l'existence? Dans l'appartement du 30, Strandgade, dans le vieux quartier de Christianshavn, le peintre pouvait revivre à volonté ce genre d'expérience onirique.

Hammershoi: l'intérieur de  l'artiste (1900)
La construction dont faisait partie cet appartement était une addition, datant du dix-huitième siècle, à une construction encore plus ancienne: faisant communiquer deux bâtiments hétérogènes, elle fermait une impasse qu'elle transformait en petite cour intérieure (dans quelques tableaux de Hammershøi on voit les jeux d'ombre sur les murs de cette cour). La stricte architecture danoise, en essayant de corriger par de fausses symétries un plan plein de décrochages et de changements d'échelle, ménageait à chaque passage de porte de petites surprises: larges vantaux ouvrant sur de minuscules antichambres, pièces sombres ne prenant la lumière qu'indirectement, par les hautes fenêtres du corridor-galerie voisin… 
Ida Ilsted, la femme et le modèle favori du peintre, confiait dans une lettre à une amie que son mari "avait toujours souhaité" vivre dans cet appartement, où ils purent emménager en 1898.

On peut en ce moment voir une exposition Hammershøi  au musée Jacquemart-André. 
À condition, bien sûr, que vous n'ayez pas de prévention contre l'idée de vous promener dans des rêves récurrents faits dans un autre siècle, je vous en recommande la visite...

À suivre...

*Poul Vad est un spécialiste de Vilhelm Hammershøi. Il a notamment publié : Vilhelm Hammershøi and danish art à the turn of the century (Vilhelm Hammershøi et l'art danois au début du siècle), Yale university Press, 1992)

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