On avait disculpé, un à un, tous les suspects habituels. Il n'en restait plus que deux.
Aristidès (Othon Frédéric Wilfrid) et Blondeaux (Georges Jacques Babylas).
Implacable, le raisonnement de Bougret désignait Blondeaux: ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à chasser de race, et bon sang ne saurait être que bien sûr.
Il ne restait plus au commissaire qu'à enfermer le coupable dans une de ses petites cellules grises.
- Il ne reste plus qu'à le serrer. Et cette fois, mon petit Charolles, vous tâcherez de le serrer un peu mieux que ce café!
- Ce café, Patron? Oh! pardon, Pardon… je veux dire: patron, Patron! Il n'était pas assez serré?
Le chuintement du tube pneumatique les interrompit, et un cylindre tomba dans la rigole: le document d'état-civil que, par routine, le fidèle Charolles avait demandé au fichier central. L'inspecteur le lut à haute voix, incrédule.
- "Blondeaux Georges, né le 9 juillet 1929 à Villeneuve-Saint-Georges, est décédé le 5 avril 2004 à Melun"...
... le 5 avril 2004? Mais nous sommes le 2 avril 2013! alors, Patron, il n'a pas pu…
- Bien sûr que non, mon vieux Charolles, sa présence à Melun lui fournit un alibi irréfragable.
- Irréfragable, Patron, qu'est-ce que vous causez bien.
Le commissaire se sentit soudain accablé de fatigue.
Que de fois, en regardant au fond des yeux l'incorrigible Blondeaux, Georges, il avait eu l'impression de se voir dans un miroir. Et voilà que, pour la première fois, dans le miroir, il ne voyait personne. Et pour la première fois, il sentait que la résolution de l'énigme allait lui faire de la peine.
Dans le couloir, la lumière oblique de fin d'après-midi, entrant par la fenêtre de la cellule de dégrisement, projetait sur le geôlier assoupi sur son banc l'ombre des barreaux, le déguisant en zèbre. Le regard perçant du commissaire erra dans la pièce, s'arrêtant çà et là sur quelques objets. Le globe terrestre qui servait lors des briefings à déterminer avec précision l'emplacement de la planque assignée à chaque officier du service, et sur lequel le courrier en retard s'était accumulé; les livres de poche aux pages cornées qui témoignaient des efforts de Paméla, la pulpeuse dactylo, pour améliorer son orthographe par la fréquentation des classiques: Le Petit Prince, Le Grand Cirque… à côté, l'arme présumée du crime dans l'affaire de la rue de Lille, un de ces bâtons ferrés que les gens de théâtre appellent un brigadier… la revue de cinéma, ouverte à la page de la critique de La Vie Aquatique… tout était à sa place. Et pourtant…
- Patron, demanda Charolles, vous n'avez pas l'impression qu'il manque des choses?
- Ce n'est qu'une impression, mon petit Charolles. Si la pièce a l'air vide tout d'un coup, ce n'est pas parce qu'il manque des choses, c'est parce qu'il manque quelqu'un. Vous savez ce qu'on dit dans le métier, Charolles: un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
Les deux policiers blanchis sous le harnois se tournèrent vers le dernier suspect.
Celui qui, depuis le début de l'enquête, les avait promenés avec ses histoires de zèbres-geôles, de lettres sur l'Océan Atlantique, de petit cirque, de brigadiers insulaires et de critiques aquatiques.
Ou plutôt, vers la place vide qu'avait occupée le suspect Aristidès (Othon, Frédéric, Wilfrid).
L'écho des derniers mots qu'il avait prononcés résonnait encore dans la pièce:
"Et alors: POUF!
Il a disparu."
POUF ! |
Les personnages du commissaire Bougret, de l'inspecteur Charolles,
d'Aristidès (Othon Frédéric Wilfrid) et de Blondeaux (Georges Jacques Babylas),
et leur idiosyncrasie universellement reconnaissable, appartiennent pour l'éternité,
plus légitimement que s'ils étaient protégés par le dépôt d'une trade mark,
à Marcel Gotlib.
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