Cette fois, c'est Denis Brihat. Aucune mort ne me réjouit (essentiellement, parce que les quelques personnes dont la mort pourrait éventuellement me donner envie de danser s'accrochent à la vie comme des tiques) mais certaines morts m'affectent plus que d'autres: celle des gens que j'ai connus, même peu. Denis Brihat, j'ai découvert ce qu'il faisait à sa première exposition, discrète, à la ferme des Contards (il y a cinquante ans et des poussières), plus tard nous sommes devenus voisins, il m'a fait visiter son laboratoire, j'ai vu quelques-unes de ses expositions suivantes (pas toutes: il en a fait un peu partout).
Nous n'avons jamais été proches, sauf épisodiquement en nous croisant sur ce "plateau des Claparèdes, désert à l’époque" que nous arpentions dans tous les sens "à l’époque" en nous émerveillant des mêmes choses. Elle est bien loin, cette époque, et ce plateau autrefois désert me manque aussi.
Et, coup sur coup, deux jours plus tard, c'est Jacques Roubaud.
Jacques Roubaud, je ne l'ai jamais approché plus près que depuis le parterre du Gymnase quand Maréchal y a monté ses pièces sur le Graal (avant, j'en avais dévoré, comme des romans, les gros volumes écrits à plusieurs mains avec Alix Cléo Roubaud et Florence Delay).
Sa traduction de La Chasse au Snark, ça m'aurait plu que l'éditeur français la choisisse de préférence à celle, si académique, d'Aragon pour accompagner les dessins de Mahendra Singh; une rencontre manquée.
Son Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go m'accompagne: je l'ai lu une première fois bien trop tôt pour y comprendre quoi que ce soit, et je le relis de temps en temps pour vérifier que je n'y comprends toujours rien (ça m'aide à me sentir jeune). Après tout, c'est un objet fascinant, presque autant qu'un bulbe de jacinthe, un coquelicot froissé ou une toile d'araignée.
photographie de Denis Brihat |
Denis Brihat
1928-2024
Jacques Roubaud
1932-2024
7 commentaires:
Merci pour Roubaud, Tororo - Connaissez-vous son Poème du chat ? (c'est dans Peut-être ou la nuit de Dimanche)
Quand on est chat on n’est pas vache
On ne regarde pas passer les trains
En mâchant les pâquerettes avec entrain
On reste derrière ses moustaches
Quand on est chat, on est chat
Quand on est chat on n’est pas chien
On ne lèche pas les vilains moches
Parce qu’ils ont du sucre plein les poches
On ne brûle pas d’amour pour son prochain
Quand on est chat on n’est pas chien
On passe l’hiver sur le radiateur
À se chauffer doucement la fourrure
Au printemps on monte sur les toits
Pour faire taire les sales oiseaux
On est celui qui s’en va tout seul
Et pour qui tous les chemins se valent
Quand on est chat, on est chat
On est celui qui s’en va tout seul
Et pour qui tous les chemins se valent
Quand on est chat, on est chat
Merci pour votre visite, les Chats! Et pour la nuit de Dimanche (elle vient juste de tomber, en même temps que le poème: vous êtes toujours aussi forts pour indiquer l'heure, décidément!): je ne connaissais pas, je suis loin d'avoir lu tout Roubaud, j'ai juste picoré. Merci de m'avoir indiqué ce chemin, qui vaut mieux que d'autres puisqu'on y fait des rencontres intéressantes!
J’ai voulu faire une blague sur Denis Brillant et puis je me suis senti ridicule. J’espère qu’il y aura quand même de nouveaux déserts à arpenter.
T'inquiète pas, ça m'arrive aussi d'avoir une idée de blague puis de me sentir ridicule.
Le problème avec les déserts de maintenant, c'est qu'ils sont plus comme les déserts d'avant.
Tu es sûr que ce n’est pas le syndrôme du fleuve changeant ? Peut-être qu’un jeune Totoro les voit avec tes yeux d’avant…
Avec ses yeux d'avant, le petit Tororo, à plat ventre dans l'herbe, voit à peu près 300 insectes de variétés différentes par mètre carré (et non, il n'exagère pas; bien plus tard, il en apprendra les noms en lisant Ernst Jünger). Le vieux Tororo, à plat ventre dans l'herbe (ouille! ça va être dur de se relever), voit trois fourmis (et pourtant il a toujours d'aussi bons yeux).
En se relevant, le petit Tororo constate qu'il n'y a aucune trace d'humain d'un bout à l'autre de l'horizon; en continuant sa route, il verra s'envoler des perdrix et croisera peut-être un ou deux sangliers. Le vieux Tororo fait assez vite demi-tour quand il en a marre de se heurter aux clotures de grillages et de barbelés qui quadrillent maintenant tout le plateau (faut bien protéger les piscines); aux abords du village, il verra peut-être un sanglier fouiller les poubelles.
Et les hannetons ? Tu oublies les hannetons. Et le vieux Totoro entend beaucoup moins d’oiseaux, c’est sûr.
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