Il connut sa plus grande joie lorsque Lampe, son valet de chambre, lui rapporta de Berlin les Betrachtungen über die Kriegskunst de Berenhorst. Il trouva dans cet ouvrage - bien que l’auteur lui parût souvent très proche de ce XVIII° siècle qu’il commençait à mépriser - la confirmation de ses idées essentielles. La guerre était bien le lieu du démoniaque qui, par définition, échappe à toutes les emprises de la raison. La guerre était aussi le lieu du hasard qui annihile les plus belles constructions de l’esprit de système.
Le livre encouragea von Lignitz à rassembler ses notes et à les présenter sous une forme cohérente.
Il y développait trois idées centrales.
Premièrement: il n’y a pas de science possible de la guerre et ceux qui ont voulu voir dans les victoires frédériciennes le fruit d’une connaissance rationnelle ont pris leur désir de système pour la réalité. La guerre est le lieu même de l’instable, de l’irrationnel, un "coup de dé", "un jeu", un "Ungefähr" pour reprendre les expressions du maître d’Anhalt.
Deuxièmement: pour qu’une armée ait quelque chance de remporter une victoire, il faudrait qu’à l’automatisme de la Dressur succédât l’enthousiasme, un enthousiasme nourri par l’amour de la patrie, par la volonté de grands sacrifices, par le sol germanique. Il en découlait que l’armée de l’avenir, s’appuyant sur les forces morales, ne pourrait être que nationale et populaire.
Enfin, troisièmement, les guerres futures verraient la fin des échanges anodins, des "duels de princes", qui avaient pour but de contraindre à la capitulation quelques places fortes afin d’obtenir une paix avantageuse. Elles seraient brutales, impitoyables, précipitant de grandes masses humaines contre d’autres grandes masses humaines, dans une violence totale qui mobiliserait toutes les forces du pays et scellerait, dans une union quasi-mystique, l’union du sang et du sol. Dans une vision prophétique, il entrevoyait ce qu’allaient être Eylau, Borodino, Lützen, Bautzen ou Leipzig.
L’ouvrage achevé, il le jugea trop subversif pour être publié à une époque où le corps des officiers, dans sa totalité, se précipitait encore à Berlin-Dahlem afin de tenter de déchiffrer, à travers des évolutions compliquées conduites par des rescapés de l’ancienne armée, les arcanes de la tactique de Frédéric.
Et pourquoi pas derrière un portrait d'ancêtre? |
Il enferma le manuscrit dans un carton qu’il dissimula derrière le portrait de l’ancêtre Johann-Gaspard.
Jean-Jacques Langendorf a aussi fait paraître: Vies croisées de Victoria Ocampo et Ernest Ansermet : correspondance 1924-1969, Buchet-Chastel, 2005
2 commentaires:
Victoria Ocampo la sœur de Silvana(?).
Merci pour la référence, je m’en vais voir ce qu’il en est.
Oui, c'est bien cette Victoria! Elle était en contact avec des tas de gens.
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