Dans les années 60, Crepax, ce n'était pas rien, vous pouvez me croire.
Lorsque son héroïne, Valentina, apparaissait sur les couvertures de Linus ou de Charlie (mensuel), le cœur des lecteurs faisait un bond. À présent, il est moins fréquent qu'on la croise dans les magazines. La donna con gli stivali était une des incarnations des rêveries de son époque, et les modes changent. Les années Valentina, c'était aussi celles de Model Shop, de Slogan, de Blow-up…
On a peine à croire que Valentina ait pu faire ses débuts comme simple sidekick d'un émule italien des super-héros américains: Neutron. L'unique super-pouvoir de celui-ci, modeste comparé à ceux de Superman, de Flash ou de Hulk, était sa faculté d'immobiliser les choses et les gens grâce à son Regard Paralysant. Une faculté pas si différente de celle que possédait le dessinateur milanais, de figer sur le papier ses héroïnes félines au milieu des plus incroyables bonds de tigresse (comme tout super-héros, Neutron avait une identité secrète, sous laquelle il exerçait un "vrai métier": photographe. Quelle identité? Philip Rembrandt, carrément! Pourquoi se contenter de peu? Le fumetto ne nous a d'ailleurs jamais dit si c'était son vrai nom ou sa signature d'artiste). Crepax Guido et Neutron-Philip avaient d'autres traits communs: tous deux dotés d'un physique anguleux, économes de paroles, ils partageaient la vie d'une compagne qui ressemblait un peu à Louise Brooks. Au cours des décennies suivantes, les relations Valentina-Neutron évoluèrent (quelque peu) vers le registre de la comédie domestique (ils se mirent en ménage, eurent un enfant). Ce qui ne les empêcha pas de continuer à visiter occasionnellement des univers inquiétants. Tandis que l'environnement autour de Valentina s'apaisait (le décor de l'Italie du Nord - Milan, Venise... - prend plus d'importance dans les aventures ultérieures de Valentina, qui avaient débuté dans de mystérieux mondes souterrains), les bizarreries et les fantasmes, Crepax alla les chercher ailleurs, dénonçant le déploiement de troupes de reîtres et de lansquenets pour réprimer des manifestations pacifistes, rendant compte des périples d'astronefs pirates et revisitant des classiques de la littérature érotique et fantastique.
Crepax était fan de jazz et de Louise Brooks (la coupe de cheveux de Valentina vous rappelle peut-être quelque chose?). Dans un des premiers numéros de Charlie (mensuel), Wolinski, peu sensible aux nuances, présenta ainsi la créature, son créateur et les circonstances de la création; "Crepax vit à Milan avec sa femme Luisa. Luisa, c'est Valentina". Plus tard, Crepax, gêné par cette simplification, ressentit le besoin de préciser:
pour lire la bulle plus commodément: clic! |
Alors, où est Valentina? où est Luisa? où est Louise?
Au milieu (sous Louise Brooks exactement: pas à côté, pas n'importe où) c'est Guido Crepax. Fichtre, il ressemble à Neutron, on pourrait les confondre… je suis un peu embarrassé.
Ah, oui, ça me revient, pour reconnaître Valentina sur ce genre de photo de famille, il y a un truc mnémotechnique: c'est celle qui est toute nue. Oui, de toutes les héroïnes de papier des peu frileuses décennies 60-70, Valentina est celle qui s'est toujours sentie le plus à son aise lorsque les circonstances l'amenaient à partir à l'aventure sans vêtements, surpassant même en aisance, dans cette discipline, Barbarella, Paulette et Red Sonja, parfaitement.
Il y a en ce moment une exposition Crepax à la galerie Martel: ce n'est pas si fréquent, essayez de ne pas la rater, vous avez jusqu'au 6 décembre.
17, rue Martel - 75010 Paris
Du mardi au samedi
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