Le ciel, comprit-elle soudain.
Le ciel, représenté par des êtres qui ne l'avaient jamais vu, mais à qui on avait décrit ses motifs changeants.
Ce n'était pas une cité gug, mais celui qui guidait Vellitt semblait connaître cet endroit: dans la septième galerie, il emprunta un passage creusé dans la roche dont toutes les crevasses avaient été scellées par des murs en pierre de taille. Le passage se mit à grimper, à s'incurver en spirale. Des marches apparurent, ici et là, puis de plus en plus fréquemment, jusqu'au moment où Vellitt s'avisa qu'elle gravissait un escalier cyclopéen en colimaçon.
Vous vous sentez en terrain familier, sans doute? Vous avez déjà exploré ces galeries cyclopéennes, ou d'autres qui leur ressemblaient comme deux gouttes d'eau glaciale et fétide. Un inédit de Lovecraft, sans doute, exhumé de quelque boite d'archives couverte de moisissures fongoïdes, par quelque doctorant en études lovecraftiennes en mal de notoriété?
Hé bien non, vous êtes bien dans le monde des rêves de la Terre, celui où on accède par un escalier de sept cents marches taillées dans l'onyx et polies par les pas de millions de rêveurs, mais votre compagnon d'aventures ne s'appelle ni Pickman ni Trevor ni Carter, mais Boe.
Vellitt Boe (Vellitt - Véline, pour les intimes - dans le monde des rêves c'est un prénom féminin).
Et, croyez-moi, ça fait une certaine différence.
Après avoir voyagé en sa compagnie, vous ne regarderez plus tout à fait du même œil - quand il vous arrivera encore, inévitablement, d'en côtoyer - les minarets de quartz rose coiffés de bulbes de calcédoine ou de rubis du pays des rêves. Non plus, sans doute, que les calandres des Buick. Et vous vous surprendrez peut-être à chercher un visage familier, un peu pâli, dans la foule de la place de l'Horloge, à Avignon, sur une vieille carte postale.
Une des bonnes surprises de ce début d'année - il fallait bien qu'il y en eût, à côté des mauvaises - ce fut la lecture de La quête onirique de Vellitt Boe, paru mi-février aux éditions du Bélial. Je l'attendais avec impatience; Gromovar Wolfenheir et Jeff Grubb en avaient dit, tous les deux, dès sa parution aux USA (chez Tor Books) il y a deux ans, beaucoup de bien: j'en avais pris note.
Ursula Le Guin n'a pas coutume (comme certains de ses confrères et consœurs - non, je ne pense à personne en particulier) d'écrire sur commande pour les quatrièmes de couverture des éloges de complaisance. "When I wrote my first novel, The Fox Woman, - se souvient Kij Johnson - I took my courage in my hands and wrote her asking for a blurb. She sent a polite typed letter back, explaining that she wasn't doing blurbs at the moment, but wishing me well. A few months later, I received a hand-written postcard telling me that she had loved the book, ending, ‘‘I am so proud of you, fox girl!’’"
(‘‘Quand j'eus terminé mon premier roman, The Fox Woman, je pris mon courage à deux mains et je lui écrivis pour lui demander un blurb. Elle répondit par une lettre dactylographiée, expliquant poliment qu'elle ne faisait pas de blurbs pour le moment, mais qu'elle me souhaitait tout ce qu'on peut souhaiter de mieux. Quelques mois plus tard, je reçus une carte de sa main, pour me dire qu'elle avait aimé le livre, et se terminant ainsi: "Je suis si fière de toi, fox girl!"’’)
Quand c'est elle qui parle d'Ursula LeGuin, Kij Johnson ne voit pas de raison de faire preuve d'autant de réserve:
Et plus tard, quand écrire fut devenu mon métier, je n'ai jamais écrit sans penser à elle. Jamais. Qu'est-ce qu'elle dirait, Ursula, si elle lisait ça? Et ça? J'espère qu'elle va aimer ce que je suis en train de faire. Je pensais à elle pendant que j'écrivais des brèves sur des mantes religieuses, une novella avec une femme d'âge mûr qui part pour une quête, des histoires de chiens et de chats et de céphalopodes et d'aliens et même "Spar". En particulier Spar*. Je savais qu'elle, elle le comprendrait. Elle ne m'a jamais écrit directement à propos de mes textes, mais de temps en temps je découvrais qu'elle avait dit, sur l'un d'eux, quelque chose de généreux et de stimulant, et ça me poussait à travailler encore plus dur, à mériter ce qu'elle avait dit.
Ces précisions apportées par Kij Johnson devraient balayer toutes les fantaisies qui pourraient venir hanter l'imagination des lecteurs, au sujet de possibles similitudes entre le personnage rêvé de Vellitt Boe, professeur de mathématiques à l'université d'Ulthar, et l'Ursula LeGuin qui enseignait l'écriture dans le monde de l'éveil: non, la seconde n'a pas servi de modèle à la première, en aucune façon! la preuve: l'arme favorite de Vellitt était la machette, celle d'Ursula le pistolet à eau (à piles). Rien à voir, n'est-ce pas?
Officially cat-approved edition. |
*Si vous vous demandez ce que c'est que Spar: c'est une nouvelle parue dans le magazine Clarkesworld, que Kij décrit comme "about the most NSFW thing that was ever NSFWed" (à peu près la chose la plus NSFW sur quoi on ait jamais apposé l'étiquette NSFW), vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous a pas prévenus.
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