mercredi 31 octobre 2012

Usagées, toutes frottées par les ans



Il faudrait donner aux morts des phrases de tous les jours,
Des mots qui facilement vont de nos lèvres à leurs oreilles,
Mots pour tenir compagnie 
Lorsque l'on est plus en vie. 
Aidez-moi, mes amis, les hommes,
Ce n'est pas travail pour un seul, 
De ces phrases usagées toutes frottées par les ans, 
Phrases de vous et de moi aussi bien que de nos pères
Surtout pour les morts à la guerre
Avec leur destin éclaté
Phrases choisies avec soin
Pour les mettre en confiance.
Rien n'est plus timoré qu'un mort
Sent-il un peu l'air du dehors
Que le voilà tout méfiance,



Phrases qu'il nous faut tenir prêtes
Pour qu'ils s'en frottent un peu les lèvres
Et que les trouvant belles d'avoir déjà tant servi 
Ils éprouvent la petite fièvre
De qui perdit un beau jour la mémoire des ténèbres
Et regarde devant lui.


Jules Supervielle, 
Posthume
dans le recueil Naissances
Gallimard 1951

photo: R. B.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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