Depuis la mi-Juin je n'ai guère été d'humeur à bloguer. J'étais triste. Notre amie Fresca, dans son journal, a évoqué il y a quelques jours une tristesse assez semblable à la mienne:
At the same time, this summer I've been sad.
I miss all the old people who knew me when I was young--including ones I wasn't close to--the aunts and uncles, neighbors, friends of my parents––even ones I didn't particularly like––they were there.
And now they're not.
Moi aussi, des gens qui ne sont plus là me manquent. Alors que j'aurais eu envie de vous parler de trucs marrants, de BD rigolotes, d'images qui bougent bien, de livres intéressants, j'avais l'impression que chaque jour amenait des mauvaises nouvelles, encore des mauvaises nouvelles... par-ci, par-là, quelques nouvelles si absurdes qu'elles en étaient presque drôles (mais pas vraiment, en fait) et pouf! Encore une mauvaise nouvelle qui me coupait l'envie de blogger. Ça a culminé fin Juin, quand j'ai appris qu'Héctor Abad Faciolince, sorti manger une pizza avec des amis à Kramatorsk, s'était retrouvé au milieu de décombres, deux des amies avec lesquelles il venait de trinquer à un avenir meilleur gravement blessées (lui-même, par chance, ne l'étant que légèrement); je me suis senti paradoxalement coupable envers cet Héctor Abad que je n'ai jamais rencontré, parce que j'avais accumulé, il y a quelques années, des notes sur les deux livres, El olvido que seremos et Traiciones de la memoria,* dans lesquels il racontait une histoire qui m'avait fasciné, notes dont je pensais tirer un billet pour ce blog; et puis j'avais pensé à autre chose, et puis j'avais oublié... un autre exemple de trahison de la mémoire. Plus diligent que moi, Chris Kearin avait résumé en temps utile - au moment de la
parution de la traduction anglaise du récit d'Héctor Abad - l'enquête, ou plutôt la quête, qui
avait inspiré le livre: en vidant les poches de son père après sa mort,
le narrateur y avait trouvé un bout de papier sur lequel le matin même
son père avait recopié un poème atribué à Borges: "Aquí. Hoy."; mais, s'était-il demandé, pourquoi ce poème n'apparaissait-il dans aucune des bibliographies de Borges? Se pouvait-il qu'il s'agît d'une fausse attribution? Et il était parti à la recherche de l'origine de ce poème, se disant confusément que, s'il levait les doutes sur l'identité de l'auteur, il rendrait d'une certaine façon justice à son père. Vous connaissez mon goût pour les quêtes donquichottesques: cette histoire m'avait touché, et j'en étais à songer à réparer ma négligence, quand j'ai appris le premier Juillet qu'une des deux amies de Faciolince blessées dans le bombardement, la journaliste ukrainienne Victoria Amelina, venait de mourir à l'hopital: à côté de ça, quelle importance avait encore ma mauvaise conscience? Cela peut-il servir à quelque chose, ce qu'on écrit sur un blog?
Et si je recopiais à mon tour le poème qu'un bout de papier dans la poche d'un mort a fait sortir de l'oubli?
Ya somos el olvido que seremos.
El polvo elemental que nos ignora
y que fue el rojo Adán y que es ahora
todos los hombres, y que no veremos.
Ya somos en la tumba las dos fechas
del principio y el término, la caja,
la obscena corrupción y la mortaja,
los ritos de la muerte y las endechas.
No soy el insensato que se aferra
al mágico sonido de su nombre.
Pienso con esperanza en aquel hombre
que no sabrá que fui sobre la tierra.
Bajo el indiferente azul del cielo
esta meditación es un consuelo.
*Ces deux livres sont parus en France aux éditions Gallimard.
2 commentaires:
This made me cry. I want to carry a poem in my pocket now—a meditation and a consolation.
Thank you.
Thanks for visiting, Fresca. I must say, your latest posts inspired me, too, in many ways.
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