samedi 30 novembre 2019

Jusques en haut des cuisses, elle est bottée


Dans les années 60, Crepax, ce n'était pas rien, vous pouvez me croire.
Lorsque son héroïne, Valentina, apparaissait sur les couvertures de Linus ou de Charlie (mensuel), le cœur des lecteurs faisait un bond. À présent,  il est moins fréquent qu'on la croise dans les magazines. La donna con gli stivali était une des incarnations des rêveries de son époque, et les modes changent. Les années Valentina, c'était aussi celles de Model Shop, de Slogan, de Blow-up



On a peine à croire que Valentina ait pu faire ses débuts comme simple sidekick d'un émule italien des super-héros américains: Neutron. L'unique super-pouvoir de celui-ci, modeste comparé à ceux de Superman, de Flash ou de Hulk, était sa faculté d'immobiliser les choses et les gens grâce à son Regard Paralysant. Une faculté pas si différente de celle que possédait le dessinateur milanais, de figer sur le papier ses héroïnes félines au milieu des plus incroyables bonds de tigresse (comme tout super-héros, Neutron avait une identité secrète, sous laquelle il exerçait un "vrai métier": photographe. Quelle identité? Philip Rembrandt, carrément! Pourquoi se contenter de peu? Le fumetto ne nous a d'ailleurs jamais dit si c'était son vrai nom ou sa signature d'artiste). Crepax Guido  et Neutron-Philip avaient d'autres traits communs: tous deux dotés d'un physique anguleux, économes de paroles, ils partageaient la vie d'une compagne qui ressemblait un peu à Louise Brooks. Au cours des décennies suivantes, les relations Valentina-Neutron évoluèrent (quelque peu) vers le registre de la comédie domestique (ils se mirent en ménage, eurent un enfant). Ce qui ne les empêcha pas de continuer à visiter occasionnellement des univers inquiétants. Tandis que l'environnement autour de Valentina s'apaisait (le décor de l'Italie du Nord - Milan, Venise... - prend plus d'importance dans les aventures ultérieures de Valentina, qui avaient débuté dans de mystérieux mondes souterrains), les bizarreries et les fantasmes, Crepax alla les chercher ailleurs, dénonçant le déploiement de troupes de reîtres et de lansquenets pour réprimer des manifestations pacifistes, rendant compte des périples d'astronefs pirates et revisitant des classiques de la littérature érotique et fantastique.

Crepax était fan de jazz et de Louise Brooks (la coupe de cheveux de Valentina vous rappelle peut-être quelque chose?). Dans un des premiers numéros de Charlie (mensuel), Wolinski, peu sensible aux nuances, présenta ainsi la créature, son créateur et les circonstances de la création; "Crepax vit à Milan avec sa femme Luisa. Luisa, c'est Valentina". Plus tard, Crepax, gêné par cette simplification, ressentit le besoin de préciser:

pour lire la bulle plus commodément: clic!

Alors, où est Valentina? où est Luisa? où est Louise?
Au milieu (sous Louise Brooks exactement: pas à côté, pas n'importe où) c'est Guido Crepax. Fichtre, il ressemble à Neutron, on pourrait les confondre… je suis un peu embarrassé.
Ah, oui, ça me revient, pour reconnaître Valentina sur ce genre de photo de famille, il y a un truc mnémotechnique: c'est celle qui est toute nue. Oui, de toutes les héroïnes de papier des peu frileuses décennies 60-70, Valentina est celle qui s'est toujours sentie le plus à son aise lorsque les circonstances l'amenaient à partir à l'aventure sans vêtements, surpassant même en aisance, dans cette discipline, Barbarella, Paulette et Red Sonja, parfaitement.
Il y a en ce moment une exposition Crepax à la galerie Martel: ce n'est pas si fréquent, essayez de ne pas la rater, vous avez jusqu'au 6 décembre.


Galerie Martel
17, rue Martel - 75010 Paris
Ouvert de 14h30 à 19h
Du mardi au samedi

Dessins de Guido Crepax (1933-2003)
 

dimanche 24 novembre 2019

Toutes choses ont leur saison


Algésiras (qu'on ne présente plus) et Caroline (d'Un dernier livre avant la fin du monde) ont déjà dit beaucoup de bien de l'album de Linnea Sterte, In Humus (initialement paru, après avoir été partiellement prépublié en ligne, sous le titre Stages of Rot).



Vous vous dites que j'arrive bien tard?
Une des leçons du roman graphique de Linnea Sterte est que chaque chose arrive à son heure.
Il y a un temps pour nager, baleine, dans l'espace, et un temps pour se transformer en humus.
Notez, s'il vous plaît, que, si In Humus raconte une histoire, elle le fait en prenant son temps et en étant économe de paroles. Ni le rythme, ni les enjeux ne sont ceux d'une BD classique. Vous n'y trouverez probablement rien (ou très peu) de ce qui vous a accroché dans Valérian et Laureline, L'Incal, Les Méta-barons ou Aldébaran... si ces titres sont des exemples de ce que vous préférez en BD de SF.
Vous y trouverez... autre chose.



Parmi ces choses: un dessin d'une grande sensibilité.
Si vous avez pris plaisir à lire, par exemple, 40 days in the desert B, de Moebius, vous vous sentirez parfaitement à l'aise dans l'univers de Linnea Sterte.


Peut-être vous demandez-vous "Alors, In Humus/Stages of Rot, c'est une histoire de baleine?"...
C'en est une, si on veut, mais pas seulement. L'illustration de couverture du premier tirage de l'album différait fortement de celle qui a été choisie pour l'édition française (et qui reprend celle des tirages les plus récents de PeowStudio, chez qui l'album a déjà connu plusieurs réimpressions!)


Cette couverture originale, on aurait pu croire qu'elle recouvrait un recueil de haikus...
et, ma foi, ce n'était pas si loin de la vérité.
L'envie soudaine de s'essayer à la composition de haikus est un des effets secondaires possibles de l'exposition aux dessins de Linnea Sterte.


Linnea Sterte
In Humus, 2018
(Stages of Rot, PeowStudio 2017)

jeudi 21 novembre 2019

La maison des bois


L'un de mes neveux (les vieilles personnes ont la manie de parler de leurs neveux) m'a raconté qu'il avait rêvé qu'il se promenait dans une forêt et qu'il arrivait finalement devant une maison de bois, blanche, que la porte s'ouvrait et que j'en sortais. Après quoi, l'enfant m'a demandé: "Dis-moi, qu'est-ce que tu faisais dans cette maison?"… il est clair qu'il ne faisait pas la différence entre le rêve et la réalité.
Cité par María Esther Vázquez dans Borges: images, dialogues et souvenirs 
(Borges, imágenes memorías, díalogos, 1977, Monte Avila Editores) 
traduit de l'espagnol par François Maspéro, Seuil, 1985


Il faut en effet la candeur d'un enfant pour demander à Borges ce qui l'amène à se rendre parfois dans une petite maison de conte au fond d'une forêt qui n'existe pas: il est clair que c'est un de ses secrets d'écrivain.

dimanche 17 novembre 2019

lundi 4 novembre 2019

Je vais où s'en va le vent




Chanson adaptée par Pierre Barouh d'une intemporelle ballade irlandaise, 
créée par Marie Laforêt en 1964 
(originellement en anglais, dans le film 
"La redevance du fantôme" d'après Henry James)


Marie Laforêt, 1939-2019