jeudi 20 décembre 2018

Une phrase bien rodée


La semaine avant Noël est souvent paisible, dans le métier, apprit Ombre durant le dîner. Les deux hommes se trouvaient dans un petit restaurant à deux blocs des pompes funèbres Ibis & Chaquel. 
Le repas de l'invité consista en un petit déjeuner complet - y compris les beignets - tandis que son compagnon picorait une tranche de gâteau au café.
"Les optimistes s'accrochent pour voir un dernier Noël, expliqua M. Ibis, voire un dernier Nouvel An. Quant aux autres, ceux pour qui les réjouissances des voisins se révèleront trop douloureuses, ils n'ont pas encore rencontré la goutte d'eau, la goutte de champagne, devrais-je dire, qui fera déborder non le vase mais leur pauvre enveloppe charnelle."
Sur ces mots, il émit un petit son à mi-chemin entre reniflement et claquement des lèvres, suggérant qu'il venait de prononcer une phrase bien rodée dont il était très fier.


Neil Gaiman, American Gods, 
(American Gods, William Morrow, 2001) 
traduit par Michel Pagel, Au Diable Vauvert, 2002
réédition: J'ai lu, 2014

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