Pochée est un court roman de
Florence Seyvos, pour lequel j'ai une tendresse toute particulière (en voilà un, de ces livres pas tout jeunes dont je parlais dans mon précédent billet). Son héroïne est une tortue très douée pour la décoration d'intérieur: c'est peut-être pour cette raison que ce roman est paru chez un éditeur labellisé "jeunesse",
l'école des loisirs. Vous l'avez sans doute remarqué: les biographies de tortues au tempérament d'artiste peinent à trouver place dans les collections de "littérature blanche", on en chercherait en vain à la NRF, chez POL, dans la Pléiade, aux éditions de Minuit...
Si je rencontrais Pochée, j'aurais envie de la serrer contre mon cœur. Je m'abstiendrais sans doute, raisonnablement, de le faire: pour une tortue, ce ne serait pas très agréable d'être pressée contre la poitrine d'un grand machin maladroit et vertical, une sorte d'échafaudage ambulant qui contrôle mal ses émotions, pas plus que, pour vous ou moi, de recevoir l'accolade d'un rhinocéros ou d'un hippopotame. À la place, je suppose que, pour manifester ma sympathie, je ramasserais un caillou bleu et que je le ferais briller, en silence, avec ma manche, en espérant qu'elle comprendrait l'intention (est-ce que ce serait une bonne idée? je ne sais pas, il m'arrive, à moi aussi, d'être maladroit quand je m'essaie à la communication inter-espèces).
Pochée, jeune tortue, a tout pour être heureuse. Elle a un ami (il était assis à côté d'elle à l'école) très beau, très gentil, et très intelligent. Ils prévoient de rester toujours ensemble, et de faire des grands voyages tout le temps. Un accident stupide (la chute d'un caillou) les sépare. Souvenez-vous, lecteurs, de ne pas jeter vos cailloux n'importe où, ça peut faire très mal à une tortue. Pochée mettra longtemps, disons la moitié d'une vie (c'est long, une vie de tortue) à se
reconstruire, comme on dit. Longtemps, elle aura du mal à nouer des relations sereines avec les gens qu'elle rencontrera, même quand ce seront de gentils escargots ou de gentils hérissons. Florence Seyvos en parle avec le vocabulaire des "livres pour enfants", mais avec un sérieux dépourvu de pathos que pourraient lui envier bien des romans "pour adultes".
Claude Ponti a dessiné minutieusement le cadre des aventures de Pochée: d'amples paysages de forêt et de montagne, dans lesquels Pochée paraît toute petite (c'est un peu normal: elle n'est pas bien grande), petite... aussi petite qu'Icare dans le tableau de Brueghel,
La chute d'Icare.
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Le monde est grand, Pochée est toute petite. |
Puis... il y a une ellipse, une longue ellipse (je vous l'ai dit, c'est long, une vie de tortue) et quand nous retrouvons Pochée, elle est grand-mère. Elle raconte ses aventures à ses nombreux petits-enfants: comment elle a vécu longtemps toute seule dans une grotte, comment elle a rencontré un escargot azimuté, un hérisson timide... elle raconte avec verve, c'est une bonne conteuse, et les petits tortillons rient beaucoup. Sauf une de ses petites-filles: Bulle.
Au bout d'un moment, Bulle dit:
- Moi, Grand'mère, quand je serai grande, je ne ferai rien comme toi.
- Ah bon? dit Pochée.
- Non, dit Bulle. Moi j'aurai un ami. Il sera assis à côté de moi à l'école. Il sera très très beau, très très gentil, et très très intelligent. Il sera tout comme je veux. Et après on fera des grands voyages tout le temps. Et je serai toujours très heureuse. Et il ne m'abandonnera jamais, ajouta-t-elle en jetant dans l'eau un petit caillou bleu.
- Quelle bonne idée, ma petite fille, dit Pochée en regardant le caillou descendre au fond de la rivière,
FIN
(illustrations de Claude Ponti),
l'école des loisirs 1994, 1997
Illustration de Claude Ponti.