"La plupart du temps je dormirai; une magicienne doit dormir beaucoup; et toi tu joueras avec le petit chat ou tu liras un livre, j'ai là les plus beaux romans de Paris ici dans ma bibliothèque. Les écrivains parisiens écrivent d'une façon délicieuse, tu verras.
Et puis dans un mois, sans compter que nous avons aussi de la musique, n'est-ce pas, dans un mois, disais-je, ce sera le printemps dans les rues de Paris. Tu verras comme après avoir été enfermés si longtemps, les gens s'embrasseront dans les rues et pleureront de joie en se revoyant. Ce sera un enlacement général. L'envie si longtemps retenue éclatera dans les yeux, sur les lèvres, dans la voix, on s'embrassera tout le mois de mai, du reste tu vivras tout cela toi-même. Imagine-toi que l'air devient tout bleu, tout humide et chaud quand il descend sur la ville, c'est le ciel alors qui se promène dans les rues de Paris et qui se mêle aux passants ravis. Les arbres ont des fleurs d'un jour à l'autre et sentent merveilleusement bon, les oiseaux se mettront à chanter, les nuages à danser et l'air sera sillonné de fleurs comme s'il en pleuvait.
Et il y aura de l'argent dans toutes les poches même les plus pauvres et les plus percées.
Je vais dormir à présent.
Tu vois comme j'ai déjà sommeil.
Profite du temps devant toi et étudie un ouvrage parmi ceux que tu trouveras, un qui puisse te captiver pendant tout un mois.
Il y a des livres comme cela.
Bonne nuit!"
Et sur ces mots elle s'endormit.
Le chat voulut alors se coucher auprès d'elle, Simon essaya de l'attraper, il lui échappa, il courut après lui, et chaque fois le chat lui glissait des mains quand il l'avait déjà saisi. Il s'enfonça dans ce jeu jusqu'à bientôt perdre haleine et tout suffocant,
il se réveilla enfin.
J'ai fait là un rêve bien sombre pensa-t-il en se levant de son lit.
Robert Walser,