jeudi 27 juillet 2017

Sur un air de comptine, comme au bon vieux temps: Jo Walton, Le cercle de Farthing



Quatre-farthings-font-un-penny
récita-t-elle sur un air de comptine.
Un quart de penny.



L'ambiance qui règne au manoir de Farthing en cette année 1949, vous pouvez déjà vous en faire une idée si vous avez lu Les vestiges du jour, de Kazuo Ishiguro, ou vu l'adaptation qu'en a fait James Ivory. Parmi les nombreuses œuvres de fiction qu'à côté d'ouvrages historiques ou sociologiques, son auteur cite comme sources d'inspiration pour le cycle romanesque dont Farthing est le premier volume figurent aussi les "Lord Peter" de Dorothy Sayers (un roman de Sayers, entamé et laissé inachevé dans les années 40, et publié après sa mort, mais situé dans l'immédiat avant-guerre, Au crépuscule de l'Empire, confrontait lord Peter Whimsey à des membres du courant conservateur le plus favorable à un rapprochement avec l'Allemagne). L'auteur avoue aussi, parmi ses péchés de jeunesse, une fascination pour les extravagantes sœurs Mitford...

Quand on reçoit des invités au manoir de Farthing, qu'est-ce qui pourrait tourner mal? Lady Eversley ne tolèrerait pas le moindre faux pas. Pas une serviette n'est pliée de travers, pas une fourchette à poisson ne manque sur une table dont le plan a été tiré au cordeau. Ce n'est pas parce qu'il y a eu cette absurde guerre qui a duré presque deux ans qu'il faut se comporter comme si on était retombés dans la barbarie.
Pourtant, dans la matinée du dimanche, survient ce que cette chère Dorothy Sayers aurait appelé "an unpleasantness": on découvre un cadavre.

Nous sommes dans un roman policier.

Si vous appréciez de vous retrouver dans un de ces salons où le jour (très beau temps, avec ondées intermittentes) est tamisé par d'amples rideaux à pompons, et où, sur la table à thé, attendent des tasses dans l'une desquelles a été versée une goutte de strychnine, à côté d'un plateau de sandwiches au concombre dont l'un (justement le plus salé!) a été assaisonné à l'anédrine, entrez donc, and make yourself comfortable. Un chapitre sur deux donne la parole à Lucy Kahn, née Eversley; dans les autres chapitres c'est un "narrateur omniscient", comme on dit (mais il n'abuse pas de son omniscience) qui rapporte les progrès de l'enquête de l'inspecteur envoyé par Scotland Yard, Peter Carmichael. La victime était l'étoile montante du parti conservateur: plusieurs fois ministre, certains l'imaginaient déjà un jour à Downing Street; l'inspecteur Carmichael est prié de faire vite.
Oui, vous avez remarqué: j'ai mentionné, en passant, qu'en cette année 1949, le Royaume-Uni se reconstruit après une terrible guerre qui a duré presque deux ans (de 1939 à 1941) et qui, si elle s'est conclue par une paix dans l'honneur, n'en a pas moins laissé de profondes cicatrices. C'est ce qu'on appelle une uchronie.

Nous sommes dans un roman policier uchronique.

Je n'ai pas dit "un roman policier de science-fiction". On est très, très loin de Minority Report. Cependant, il vaut mieux que le lecteur en soit prévenu:  Jo Walton (c'est un roman policier uchronique de Jo Walton, il ne fallait pas que j'oublie de vous le dire!) s'intéresse davantage aux questions du type "What if?" qu'à celles du genre "Whodunit?" et c'est dans l'analyse de mécanismes, ma foi, toujours à l'œuvre dans la société contemporaine qu'elle cherche les réponses. L'enquête policière est pour cela un artifice commode, car elle met en contact des gens qui en d'autres circonstances ne se rencontreraient pas.
Cette enquête semble avancer lentement, car elle est racontée de façon réaliste: on vérifie les antécédents de toutes les personnes présentes, on compare leurs témoignages pour établir la chronologie des faits (il est heureux pour le lecteur que ce soient les subalternes, le constable local Yately et le sergent Royston qui soient chargés de cette routine, et que le personnage qui occupe le premier plan soit Carmichael, qui s'entretient avec les témoins les plus en vue).
On se doit d'éliminer une à une toutes les hypothèses, qu'elles soient séduisantes (un commando d'agents bolchéviques escaladant la façade au milieu de la nuit?), désobligeantes (un domestique qui aurait oublié où était sa place?), abracadabrantes (un suicide maquillé en meurtre?), inquiétantes (se pourrait-il vraiment que quelqu'un, dans les cercles les plus proches du pouvoir, retire de cette mort un bénéfice politique?) d'une familiarité rassurante (que voulez-vous que ce soit, sinon une nouvelle provocation d'agitateurs juifs?), choquantes (et si, au contraire, quelqu'un avait cherché à faire accuser les Juifs, pour justifier vis-à vis de l'opinion publique un durcissement des mesures les concernant?)  ou affligeantes de banalité (cherchez la femme!), en les confrontant aux faits établis.
S'il y a une chose qu'on n'attend pas d'un inspecteur de Scotland Yard, c'est qu'il fasse avancer une enquête à coups d'intuitions fulgurantes (Carmichael et son fidèle Royston échangent parfois des plaisanteries à ce sujet). Aussi,  Carmichael garde pour lui ses hypothèses les moins orthodoxes.
Il n'aurait, de toute façon, pas autant d'occasions de briller en société que les romans d'Agatha Christie n'en offrent à Hercule Poirot. On fait sentir à l'inspecteur que son appartenance à une (modeste) famille de la gentry  ne suffit pas à l'exonérer pour le faux pas qu'il a commis, en entrant dans une branche de l'administration aussi peu recommandable que la police criminelle (peut-on l'admettre à la même table que les invités? non, bien sûr; "son père est propriétaire terrien dans le Lancashire: j'ai regardé dans le Wo's Who", intercède timidement tante Sukey, sans parvenir à impressionner le moins du monde l'intraitable lady Eversley: on lui servira un repas froid dans les quartiers des domestiques).

L'enquête, donc, est ennuyeuse, minutieuse, faite de procédures répétitives, bien plus lentes et bien moins excitantes que dans les romans dont l'action est située de nos jours.
Les "experts", il y en a, bien sûr, mais on sait qu'il n'y a pas de miracles à en attendre: "Les empreintes digitales ne sont plus ce qu'elles étaient, maintenant que les gens y sont habitués. De nos jours, nous pourrions aussi bien ne pas nous embêter à les relever: si quelqu'un a fait quelque chose d'illégal, il les aura effacées" (... ceci dit, on retrouve ce désenchantement face à la police scientifique quand, à notre époque, on s'aperçoit que les recherches de traces d'ADN, non plus, ne permettent pas de tout résoudre).
Naturellement, Carmichael a accès aux fiches que Scotland Yard (le vieux bâtiment de New Scotland Yard a été détruit pendant le Blitz; il est heureux qu'on ait pensé à mettre à l'abri les archives) détient sur tous les importants personnages présents à Farthing le dimanche fatal, et même à des informations plus confidentielles... mais...

... le rapport suivant [...] tenait sur une seule feuille:
Eversley, lady Margaret Violet Elisabeth, 
née Dorset le 4 novembre 1900 
à Wessex House, Londres. 
Parents: le 9° duc et la duchesse 
de Dorset, tous deux DCD.
Si elle était fille de duc (se demande très sérieusement le détective), n'aurait-on pas dû l'appeler lady Margaret, plutôt que lady Eversley?
Les ducs avaient la préséance sur les vicomtes,non?

Bah, pour l'importance que ça peut avoir... s'il y a une des personnes présentes sur les lieux du crime qui ne peut d'aucune manière y être impliquée, c'est bien lady Eversley, non?

Frères et sœurs: Peter Alan, 
né en 1904, 10° duc de Dorset. 
Millicent Florence, née en 1906. 
Éducation assurée par des précepteurs. 
Mariée (1918) à  lord Charles 
Caspian Eversley. 
Enfants: Hugh Caspian, 1919-1940, 
et Lucy Rowena, née en 1926.
Carmichael regarda au verso, mais c'était vraiment tout ce qu'il y avait. La carrière politique de lady Eversley ne pouvait pas être résumée par une série de statistiques - charges occupées, élections gagnées ou perdues - c'était une affaire d'influence exercée par l'intermédiaire de son mari, de son frère, de ses amis, de son argent. Tout ce que les archives officielles retenaient d'elle était qu'elle était née, qu'elle s'était mariée et avait eu deux enfants.

Prends garde, lecteur, aux fausses pistes: les "chapitres Carmichael" servent bien plus à contextualiser le récit, à nous faire sentir, à la fois, la distance qui sépare cette uchronie de notre ligne temporelle, et ce qui, dans la société britannique, résiste à tout changement, qu'à nous fournir des indices sur l'énigme policière proprement dite. Et puis, pour embrouiller encore un peu les choses, il y a des… comment appelle-t-on ça? des interférences dans l'enquête. Elles prendront bien des formes (j'essaie de ne pas spoiler).

Paradoxalement, on apprendra bien plus de détails révélateurs en lisant attentivement les chapitres narrés à la première personne par la candide Lucy, chapitres pourtant rédigés presque comme le journal secret d'une collégienne: pleins de digressions et de coq-à-l'âne, ils le sont aussi de confidences très intimes et d'observations qui ne manquent pas de sagacité: ce sera au lecteur de faire le tri! Une possibilité qui ne sera pas donnée à l'inspecteur, que la distance sociale qui le sépare de la petite-fille du duc de Dorset oblige à maintenir vis-à-vis de celle-ci un ton très formaliste, même quand il sera obligé, bon gré mal gré, de l'inclure dans la liste des complices possibles du meurtre: et il ne sera évidemment jamais question que l'inspecteur demande à  la jeune femme si l'un des insoupçonnables invités de ses parents lui semble suspect, et encore moins ce qu'elle pense des membres de sa famille.
Dommage pour lui, s'il avait eu l'occasion de discuter à bâtons rompus avec la jeune femme il aurait pu recueillir quelques-unes de ces informations qu'il a cherchées en vain dans ses dossiers: Lucy sent instinctivement (même si elle ne formulerait jamais l'idée de façon aussi brutale) que le milieu dans lequel elle a grandi est un nœud de vipères.


Et l'aspect uchronique du roman? on sait que Jo Walton aime bien les concepts d'uchronie (The Just City), de temporalités divergentes (My Real Children)...  mais dans ce roman elle n'a pas voulu que des bizarreries à la Poul Anderson distraient ses lecteurs du vrai sujet. Il faut bien ouvrir l'œil pour constater les changements que la divergence entre la ligne temporelle du roman et la nôtre ont apporté dans la vie quotidienne. Ou tendre l'oreille vers la radio que Lucy écoute distraitement.
Les bouleversements sociaux causés indirectement par les changements technologiques? Les allusions qui y sont faites nous font plutôt entrevoir une Angleterre que la "paix dans l'honneur" (supposée signée en 1941) aurait cryogénisée dans son roide maintien des années 30: "Il vaut sans doute mieux conduire soi-même qu'entretenir des chauffeurs qui rongent leur frein à la maison. Ils sont pire que des chevaux" remarque lord Eversley, quand il apprend que son gendre conduit lui-même son automobile (je ne sais pas ce que lord Eversley pensera lorsqu'il remarquera - si jamais il le remarque - qu'on vient d'installer des parcmètres américains ultra-modernes devant Lincoln's Inn).
Nous sommes dans un roman policier uchronique qui ne tourne pas le dos à quelques problèmes tout à fait contemporains.
Bon, je crois que nous avons fait le tour de tout ce que vous ne trouverez pas dans ce roman: pas de détective en jaquette qui, œillet à la boutonnière, sort de sa manche comme un prestidigitateur la solution de l'énigme; pas de prodiges de la science criminalistique, réels ou anticipés; pas de voitures volantes ou de zeppelins blindés; ce que vous trouverez en revanche, c'est une réécriture de l'Histoire (celle avec la grande hache) d'une vraisemblance troublante, un peu comme celle de Kevin Brownlow dans ce fameux simili-documentaire, It Happened Here; et deux personnages auxquels vous pourriez bien vous attacher - des personnages non dépourvus de défauts, heureusement imparfaits. L'un comme l'autre passent à côté d'indices qui crèvent les yeux du lecteur, cela sous-entend-il qu'ils sont stupides? Quand on s'apprête à traverser une rue, on regarde à droite, puis à gauche (ou le contraire: ça dépend du côté du Channel où l'on se trouve), n'est-ce pas? On lève rarement les yeux pour s'assurer qu'aucun piano à queue ne vient d'être jeté d'un cinquantième étage. Pourtant, en certaines occasions, il vaudrait mieux (c'est un peu, mutatis mutandis, ce qui arrive à Lucy et à Peter).
Si ce sont les chapitres consacrés à Lucy Kahn qui nous donnent le plus l'impression d'assister à un cataclysme au ralenti, c'est pour Peter Carmichael que l'histoire se termine vraiment mal: Lucy ne perd que ses illusions sur les siens, Peter perd ses illusions sur lui-même.

Il se rappelait avoir rencontré quelques années plus tôt, au cours d'une enquête sur une bande  de contrebandiers, des collègues de la Milice et de la Gestapo et les avoir trouvés plutôt sympathiques. Il s'était demandé comment leur conscience pouvait s'accommoder de certaines des choses qu'on leur faisait faire. Maintenant il savait.

Il est plus tard que tu ne penses,
lecteur de 1949.

Une vraie fin de roman noir, mais harmonisée sur le mode mineur: à l'avant-dernière page, comme dans tant de romans policiers anglais, une voix d'enfant récite une comptine (pourquoi les auteurs anglo-saxons de suspense semblent-ils à ce point obsédés par les nursery rhymes? c'est une question bien trop vaste pour que nous l'examinions aujourd'hui).
Si sombre qu'elle soit, la fin du roman est ouverte: tandis qu'elle l'écrivait, Walton a senti qu'elle ne pouvait pas en rester là et que l'histoire méritait une suite (elle lui en a donné deux: Ha'Penny - en français Hamlet au paradis - et Half a Crown - en français Une demi-couronne; ai-je besoin de préciser qu'elles valent elles aussi la peine d'être lues?).

Vous commencez à la connaître, Jo Walton: l'auteur de What makes this book so great? ne peut conclure le livre sans faire, à ses lecteurs qu'elle devine aussi boulimiques de livres qu'elle l'est elle-même, un petit signe discret.
Pour moi, je choisis Guerre et paix, parce qu'il était bien épais et que je ne l'avais jamais lu. Pour David, j'achetai le nouveau livre de l'auteur de cette histoire d'animaux qui avait eu tant de succès quelques années plus tôt, un roman d'anticipation intitulé Mille neuf cent soixante-quatorze. [David] avait toujours aimé H. G. Wells et Jules Verne et je m'étais dit qu'un livre de ce genre lui changerait les idées.
Quand je suis arrivé à ce paragraphe, je me suis tourné vers Mori qui, depuis sa stase temporelle de l'année 1979, lisait par-dessus mon épaule, invisible pour tout le monde sauf pour moi, et nous avons échangé un petit clin d'œil qui a filé à travers les années à la vitesse de la Machine de monsieur Wells.

...

Laissons le dernier mot à Jo Walton:

I had read a lot of cosy mysteries, 
Tey, Sayers, Christie, Heyer
and considered the interesting fact that they were 
about sudden violent death 
and yet they were written in a way 
that made them safe, indeed cosy. 
I thought I could use this to write about fascism, 
and not in a closed known historical context 
where we’re safe and sure of the ending either.
The Small Change books are about 
how people do bad things — how we do bad things,
 and allow them to be done in our name.
It’s easy to look at the Nazis and say 
they were monsters, at the concentration camps and 
imagine ourselves the victims. 
Looking at how real people come to the position 
of doing and allowing these things 
is much more uncomfortable.

I’ve always been a cheerful and optimistic person, 
and that’s why I wrote these books.
                                      Jo Walton


Jo Walton, Le Cercle de Farthing
(Farthing, Tor Books, 2006), traduit par Luc Carissimo
ISBN : 9782207113868
et en poche, collection Folio SF, 2017
ISBN : 9782072709005



dimanche 16 juillet 2017

Une non-suite et une fin



La dernière fille et le dernier garçon sur terre se préparent à attendre ensemble la fin de toutes choses. Ils ont de la chance: ils ont été les meilleurs amis du monde aussi longtemps qu'il y a eu un monde et maintenant qu'il n'y en a plus, ils restent, simplement, les meilleurs amis qu'il y ait nulle part, c'est déjà ça et ils auraient pu plus mal tomber.

Je suis en train de lire ça dans un livre pas encore écrit (un des privilèges qu'on a dans les rêves). 
Quel livre? Je n'en suis pas sûr. Peut-être s'agit-il de la fameuse "non-suite" que Philip Pullman a promis de donner bientôt à sa fameuse trilogie His Dark Materials, en français À la croisée des mondesJ'ai lu ça quelque part: il en parle tantôt comme d'une "companion trilogy", tantôt comme d'une  "equel", voulant dire par là que cette histoire ne se situe ni après sa première trilogie, comme une sequel, ni avant, comme une prequel. Philip Pullman aime bien inventer des mots.
En tous cas la fille du rêve, la dernière fille de l'univers, ressemble à la Lyra Belacqua du film (Dakota Blue Richards) - autre privilège de rêve: je vois tout ce que le livre décrit aussi clairement que si j'y étais.
Je peux bien vous avouer que je n'ai été totalement conquis ni par la pondéreuse trilogie romanesque de Pullman - un ouvrage que je n'ai certes pas détesté, mais que j'aurais aimé pouvoir aimer davantage - ni, pour des  raisons différentes, par sa réticente, incomplète et pourtant encore pesante adaptation cinématographique, et que le meilleur souvenir que j'en garde, c'est la frimousse de Dakota Blue Richards (et à vrai dire, cette ressemblance est la seule chose qui m'incite, au réveil, a supposer un lien entre ce rêve et l'univers de Philip Pullman*)
La veille au soir, justement, j'avais décidé de donner au film une seconde chance et (je n'avais rien trouvé de mieux à faire et il faut bien passer le temps) je l'avais glissé dans le tourne-disque avant de m'endormir.

La dernière fille et le dernier garçon se retrouvent donc ensemble à la fin de tout, il n'y a déjà plus grand' chose autour d'eux, et ce plus grand' chose s'écoule comme du sable. Tandis que le garçon peine à garder un visage, la fille, elle, persiste, sans effort apparent, à ressembler à Dakota Blue Richards.

Le garçon a besoin de réconfort.

- Raconte ce qui nous arrive, supplie-t-il.
Comme si c'était arrivé il y a longtemps.
Raconte, tu racontes si bien.
Alors elle raconte le peu qu'il reste à raconter.
- Nous sommes au centre de tout ce qui reste, et ce tout qui reste devient nous.
Je deviens toi, tu deviens moi, nous devenons nous.
Aussi longtemps qu'il reste quelque chose, ce  quelque chose est nous.
Je vois par tes oreilles, tu entends par mes yeux.
Tu es ma parole, je suis ta voix.
Tu es mes cheveux, 
je suis tes dents. 
Tu es ma main, 
je suis ta main.

Elle parle ainsi pour deux jusqu'à la fin.
Le peu qui reste à présent de ce qui fut tout ressemble à une poignée de sable.

Et c'est comme ça, juste quand je lis ces dernières lignes, que le rêve finit.




À l'aube, la moitié du ciel est restée grise. Il avait plu de la cendre. L'air sentait la fumée. Toute la nuit, des pinèdes avaient brûlé à quelques dizaines de kilomètres au nord. Le monde continuait.

* À moins que... à la réflexion, il y a peut-être quelque chose de pullmanien dans cette idée, que tout se résout en poussière, en sable?