lundi 24 février 2025

C'est quel jour, Ogreweed Day?


 Blimey! Comment ai-je pu oublier que nous sommes en plein Mois Edward Gorey, et que le 21 c'était son centième anniversaire!
Imaginez ma confusion quand j'ai lu sur le blog de Chris Kearin:

As it happens, I can pinpoint my first encounter with Gorey's work quite exactly.

Oh, mais moi aussi: je l'en souviens comme si c'était hier, un beau jour (ou peut-être une nuit) un ami a voulu me faire partager son enthousiasme pour un disque (vinyl bien sût: c(était en 1977!) qu'il venait d'acquérir. En grosses lettres blanches, sur la pochette noire: Michael Mantler.

 En un peu plus petit, d'autres noms: Robert Wyatt, Terje Rypdal, Carla Bley, Steve Swallow, Jack DeJohnette. Et ce qui était, apparemment, le titre de l'album: THE HAPLESS CHILD (and other inscrutable stories). Au revers de la pochette, des silhouettes dessinées à la plume et des banderoles effilochées qui suggéraient le contenu; 

 on en découvrait davantage quand on dépliait la pochette (comme si on ouvrait un livre sans pages, mais avec des images): des historiettes intitulées The Sinking Spell, The Object Lesson, The Insect God, The Doubtful Guest, The Remembered Visit, et, last but not least: The Hapless Child; toutes attribuées à un certain Edward Gorey
Toutes les personnes mentionnées m'étaient alors parfaitement inconnues. Que la stupeur ne vous fasse pas tomber en syncope; dans la suite des temps, leurs noms me sont peu à peu devenus aussi familiers qu'à vous, sagaces lecteurs (comprenez bien que j'étais alors jeune et mal dégrossi).
Les années passèrent, et je me suis procuré, un à un, tous les ouvrages d'Edward Gorey sur lesquels j'ai pu mettre la main (merci, Monsieur Jacques Noël, vous m'y avez bien aidé). Le disque? Après l'avoir rendu, à regret, à son possesseur, je l'ai acheté à mon tour, d'abord en vinyl, plus tard en CD; et aujourd'hui encore, si parfois vos errances nocturnes vous amenaient sous une certaine fenêtre où brille une lueur vacillante, vous pourriez entendre la voix rauque de Robert Wyatt déchirer les ténèbres:

...
 and  thus  it  was
that Millicent Frastley
 was
sacrificed to the
 Insect God!


 ©  Edward Gorey,  Michael Mantler, et al.


vendredi 21 février 2025

Admirations accordées à tort et à travers

 
Quel est donc ce mystère impénétrable et sombre?
Rimbaud, Hypotyposes saturniennes
 
 
 
J'étais, guettant, comme un loup.
A l'école, notre professeur de brègne avait acquis un certain prestige parmi les élèves.
C'était l'âge où nous accordions notre admiration à tort et à travers, comme des coups de dents au creux d'un troupeau. Nous avions besoin de nous raccrocher à quelque chose: l'univers s'était écroulé autour de nous; dans les autres quartiers, les gamins nous écartaient avec des bâtons et se moquaient en criant de nos malformations.
Pour moi, c'était différent. J'observais.
Lorsque le professeur de brègne rentrait dans la salle, il y avait soudain un silence lourd. La poussière dans la vitrine des empaillés frémissait; sur le qui-vive, les buses et les ratons dressaient l'oreille. Il faisait moite et velouté à l'intérieur de nos mains, quand nous en avions.
La pénombre tambourinait le long de nos artères.
"Tirez les rideaux, il fait bien trop clair ici", disait le professeur de brègne.
La classe que déjà la noirceur aveuglait, la classe écartelée et pantelante devenait encore plus étouffante. Lorsque les persiennes terminaient leur course contre l'appui des fenêtres, il y avait une sorte de soupir effaré qui s'allumait de pupitre en pupitre: eh bien - pensions-nous - ça recommence: qu'est-ce qu'il va faire aujourd'hui?
Le professeur de brègne ouvrait alors  une caisse cerclée de cuivre.
Tout était réglé dès le début de l'année selon une chorégraphie impeccable.
Un élève montait sur l'estrade et éclairait la scène à l'aide d'un chandelier à deux bougies.
La caisse était obscure et profonde comme un four.
C'était impressionnant et fantomatique.
Nous ne respirions plus.
"Regardez bien, sales petites bêtes", disait le professeur de brègne.
Et il nous montrait des mystères.


Biographie comparée de Jorian Murgrave
Denoël, Présence du Futur n° 397, 1985

mercredi 19 février 2025

On n'est pas sortis de l'eau beige

 Exercice d'hypothésologie: dans les jours/semaines qui viennent un président sera de nouveau la cible d'un attentat, cette fois mieux préparé que les précédents. Des hypothèses contradictoires seront formulées (plus précisément: vociférées). Des précédents historiques seront évoqués. S'ensuivra un enchaînement d'événements chaotiques.

 

mardi 18 février 2025

Choses pas vues (5): pile à lire

 Choses que j'ai vues en rêve, mais jamais vues auparavant - ni revues par après - dans la vie de tous les jours:
  Le titre d'un livre: La fin de l'additivité (je ne l'ai pas lu ni même feuilleté, je me demande encore ce que c'est que l'additivité?).
  Le titre d'un autre livre: Vous êtes des rois curieux (je n'ai pas eu l'occasion de noter le nom de l'auteur).
  Et voilà que j'apprends que Cedric Ferrand avait écrit, il y a déjà bien des années, un roman pour enfants: L'autre côté de la nuit. Dommage qu'il soit épuisé (ne le cherchez pas: il n'est pas moins épuisé de ce côté-ci du rêve).
  Il m'arrive aussi en rêve de feuilleter des magazines: dans une revue aux pages jaunies, à la typographie typique de la presse d'avant-guerre (pas cette guerre-là, l'autre, non, une autre encore avant) je vois un petit pavé de réclame pour un article quelque peu mystérieux: Le Pistolet Possible - titre en grosses lettres Art Déco, texte explicatif imprimé trop petit pour que je puisse le lire. Je suis perplexe: s'agit-il d'une nouveauté du genre que, dans les revues pour gamins, on était invité à payer en envoyant des timbres: les Lunettes à Rayons X ou le Stylo à Encre Sympathique (si un stylo peut être Sympathique, pourquoi un pistolet ne serait-il pas Possible?)... à moins que ce ne soit le titre d'un roman de Mystère... de Merveilleux Scientifique, peut-être? Des détectives à la poursuite d'une invention aux propriétés étonnantes?
  Mais, cette fois comme les autres, je n'ai pas le temps de pousser plus avant mes investigations: la bibliothèque des rêves ferme de bonne heure.

 

 Ajouté le 25/02/25:
Encore une synchronicité, cette fois avec Nikolavitch (lui, il a pu se procurer les lunettes pour voir l'invisible en relief, le veinard!).

dimanche 16 février 2025

Pour en finir avec H...

 Allons donc, qu'est-ce que j'ai failli écrire? Je dois être très fatigué. "Pour en finir provisoirement avec l'actualité récente concernant Harlan Ellison", voilà le titre que j'aurais dû donner à ce billet (si je n'avais pas été si fatigué).
Le numéro 117 de Bifrost est consacré à Harlan Ellison, voilà ce qu'il y a de récent dans l'actualité. Un épais dossier comprenant une longue biographie par Laurent Queyssi, une bibliographie aussi complète que possible (ça n'a pas dû être facile: il semé des articles, des préfaces, des critiques et des micro-nouvelles un peu partout!) et un "guide de lecture en terres ellisoniennes". Ce qu'il vous faut pour combler les trous qu'il pourrait éventuellement y avoir dans votre culture ellisonienne - ou harlanique, si vous préférez. Et si votre culture n'a pas de trou, allez directement à la nouvelle, jusqu'ici introuvable en français.

mardi 11 février 2025

Sunday, Monday, Happy Days...

 Encore un cas de synchronicité: un des derniers billets de l'ami Coulthart (Biblioklept) semble vouloir faire écho à un de ceux de l'amie Fresca (Noodletoon):

Part of an ostensible review of the sitcom Happy Days; from Ellison’s column published on 3 July 1970 and reprinted in The Other Glass Teat:

    One begins to realize that our national middle-class hunger to return to two decades of Depression, world war, Prohibition, Racism Unadmitted, Covert Fascination with Sex, Deadly Innocence, Isolationism, Provincialism, and Deprivation Remembered as Good Old Days has become a cultural sickness.

    The past has always been a rich source for fun and profit. Nostalgia is a good thing. It keeps us from forgetting our roots. Readers of this column know I trip down Memory Lane myself frequently. But it is clearly evident that when an entire nation refuses to accept the responsibilities of its own future, when it seeks release in a morbid fascination with its past, and when it elevates the dusty dead days of the past to a pinnacle position of Olympian grandeur … we are in serious trouble.

Harlan Ellison critique de télévision! Ça vous surprend sans doute, mais vous saviez déjà qu'il ne pouvait pas s'arrêter d'écrire, sur tout ce qui lui passait par la tête. Il est hautement improbable que ces recueils de critiques soient jamais traduits en français (ça donnerait Le Téton de Verre? hum...  ou peut-être Le Biberon Cathodique? on comprendrait mieux); alors jetez un coup d'œil aux 4 de couv' pour avoir une idée du contenu. Oui, je sais, je vous ai promis de vous parler bientôt sérieusement d'Ellison, un peu de patience, ça viendra!

 Quant à la corrélation entre le billet de Biblioklept et celui de Noodletoon, elle sera peut-être difficile à saisir pour les lecteurs français, puisque l'émission dont Fresca parle (the  Prairie Home Companion) et  son host Garrison Keillor, l'un et l'autre longtemps très populaires aux USA, sont totalement inconnus chez nous (tant pis! ou tant mieux?)...  si après l'avoir lu vous revenez au premier paragraphe d'Ellison, ça vous aidera à faire le lien (Happy Days, ça, au moins, vous connaissez!).

dimanche 9 février 2025

Du nouveau en Février?

 Dépités par l'annonce faite l'an dernier par Ubuweb du "gel" du catalogue du site (Il y a un an, nous décidions d'arrêter Ubuweb. Pas de "l'arrêter" à proprement parler, ni de le fermer: de considérer qu'au bout de trente ans, le travail était terminé, qu'on avait archivé tout ce qui devait l'être...) et, désespérant d'y trouver des nouveautés, vous aviez un peu négligé de lui rendre visite ces derniers temps?
Vous devriez aller lire cette mise à jour!

A year ago, we decided to shutter UbuWeb. Not really shutter it, per se, but instead to consider it complete. After nearly 30 years, it felt right. But now, with the political changes in America and elsewhere around the world, we have decided to restart our archiving and regrow Ubu. In a moment when our collective memory is being systematically eradicated, archiving reemerges as a strong form of resistance, a way of preserving crucial, subversive, and marginalized forms of expression. We encourage you to do the same. All rivers lead to the same ocean: find your form of resistance, no matter how small, and go hard. It's now or never. Together we can prevent the annihilation of the memory of the world.

Vous pouviez toujours explorer le catalogue d'UbuWeb (vous en connaissez déjà une bonne partie, sûrement?), désormais vous pourrez de nouveau y faire  des trouvailles inattendues, dans tous les domaines: images fixes ou pas, fictions et documentaires, arts graphiques et trucs pas faciles à classer...


Il y a quinze jours, l'ami Li-An proposait, dans ce commentaire: "Il faudrait penser à célébrer les naissances, du coup." C'est pas évident, de repérer la naissance des gens qui changeront le monde dans trente ans.
Mais une re-naissance, c'est une sorte de naissance, alors ça compte, non? C'est un début, n'est-ce pas, Li-An?

samedi 1 février 2025

Souhaitons-nous les uns les autres

 La période pendant laquelle il convenait que nous nous souhaitions les uns aux autres une bonne année 2025 se termine, mais celle où l'on peut souhaiter à qui nous plaît une bonne année du Serpent (de bois) commence. Allons voir sur Spoon & Tamago ce que les designers d'Asie ont dessiné pour l'occasion (merci John Coulthart pour le lien!)...

Minami
 Celle de Minami n'est-elle pas mimi? J'aime bien sa simplicité. Encore une fois meilleurs vœux!

 


vendredi 31 janvier 2025

Broken English

 La compétition pour le titre de Mois le plus Triste de l'Année est-elle ouverte, pour que Janvier se démène ainsi à nous priver de ce qui va nous manquer? Cette fois c'est Marianne Faithfull.

Elle était fatiguée. Quand je l'avais vue sur scène pour la dernière fois lors de sa tournée européenne de 2011, elle l'était déjà, mais elle chantait quand même. Maintenant elle ne chantait plus, mais on était contents de pouvoir l'imaginer tranquille auprès d'un bon feu. Qu'adviendra-t-il du feu?

Marianne Faithfull 1946 - éternité

 

mardi 28 janvier 2025

A Barrel of Laughs, a Vale of Tears, and a ghost writer

Il est affamé, ce mois de Janvier.
À cause de lui nous n'avons plus de Gabriel Yacoub (de Malicorne) pour nous faire danser au son de l'épinette, de Jules Feiffer (de Mad, du NewYorker et d'un peu partout) pour nous faire rire de choses qui pourraient nous donner envie de pleurer, et de Bertrand Blier (du cinéma et de papa) pour nous tendre des mouchoirs (au cas où les deux autres n'auraient pas réussi à nous égayer).
Jean-François Kahn - ultime pirouette - a créé une dernière fois l'événement, en mourant un jeudi. Et ça ne suffisait pas à Janvier: Henri-Fréderic Blanc, le plus Marseillais de mes écrivains préférés, m'a fendu le cœur. Henri, j'ai le cœur fendu par toi. Alors, alors nous jouons plus alors? Ne crois pas t'en tirer comme ça, je parlerai encore de tes livres. Pourquoi pas du Discours de réception du Diable à l'Académie Française? Un peu de publicité pour tes talents de ghost writer, ça ne peut pas faire de mal à ta carrière posthume - parce que même devenu ghost pour de bon, je n'arrive pas à t'imaginer posant ta plume. 

Gabriel Yacoub 1952-2025
Jules Feiffer 1929–2025
Bertrand  Blier 1939-2025
Jean-François Kahn 1938-2025
Henri-Fréderic Blanc 1954-2025

 

 Au cas où le titre de ce billet vous laisserait perplexe: il emprunte à celui d'un recueil de Feiffer:   A Barrel of Laughs, a Vale of Tears (1996)