lundi 11 novembre 2024

Victoire

Elle était née le 11 novembre 1918; aussi ses parents n'avaient pas hésité longtemps avant de lui trouver un prénom: elle s'appellerait Victoire. Elle n'a pas vécu tout à fait cent ans, mais presque, et n'a pas laissé de trace dans l'Histoire. Qui se souvient d'elle? Moi. Je me souviens de son sourire, de son regard resté malicieux jusqu'à la fin. C'est aujourd'hui ton anniversaire, Victoire.


dimanche 10 novembre 2024

Une affaire à régler


Les personnages des romans en savent parfois plus long, sur les romanciers qui les ont imaginés, que ces romanciers eux-mêmes. Et il n'est pas sans exemple qu'ils aient eu, davantage que ceux-ci, le souci de leurs intérêts.
Voyez Simon Tanner, désigné dès le premier roman de Robert Walser comme exécuteur testamentaire d'un jeune poète que le froid devait mettre encore cinquante ans à tuer.

Le troisième jour le conduisit dans une ville imposante et belle où il  n'avait qu'une affaire à régler: trouver un rédacteur  auquel il pût  remettre les poèmes de Sebastian.  
Arrivé devant la maison qu'on lui avait indiquée, 
il pensa brusquement qu'il ne serait pas très malin d'apporter lui-même les poèmes de quelqu'un  qu'il avait trouvé mort. 
Il écrivit donc sur la couverture du cahier bleu 
ce titre: 
Poèmes d'un jeune homme trouvé mort de froid 
dans une forêt de sapins, 
aux fins de publication, si possible
et il jeta le cahier dans la grande boîte aux lettres prétentieuse, 
où il tomba bruyamment. 
Cette chose faite, Simon reprit sa route.

Les enfants Tanner (1907) 
traduit par Jean Launay 
Gallimard, Du Monde entier 1985
Gallimard,  Folio n° 2380 1992

mercredi 6 novembre 2024

Douche froide au réveil

Cette nuit, je me suis couché tard, après avoir écouté d'une oreille (de l'autre, je feuilletais un livre que je prévoyais de lire bientôt) les informations: la compétition entre candidats à la Maison Blanche promettait d'être "serrée",  à ce que disaient les journalistes.
Endormi tard, donc, je me suis éveillé tôt, avec le souvenir d'un rêve bizarre, plus bizarre que d'habitude, quasiment un cauchemar (je fais très rarement de vrais cauchemars; mais ce rêve-ci avait quelque chose de... kafkaïen, voilà le mot que je cherchais).
Au début du rêve il y avait eu des rumeurs au sujet d'un scrutin dont la date approchait: je ne m'y intéressais pas particulièrement, je ne faisais pas partie de l'électorat concerné - ça devait se passer dans une autre circonscription, ou un autre département, peut-être même un autre pays - allez donc comprendre quelque chose à la géographie des rêves!
Plus la nuit avançait, plus je rencontrais de gens qui, eux, se sentaient préoccupés par cette échéance, et m'en parlaient avec chaleur. Jusqu'à ce que quelqu'un me demande carrément: mais pourquoi ne vas-tu pas voter? Mais... mais... était tout ce que je trouvais à répondre. Mais rien du tout, me répondait-on, tu as qualité pour voter, tu ne te souviens pas? Tout ce que tu as à faire est te présenter au plus proche bureau de vote. Pourquoi pas, me disais-je; un  bureau de vote, ce n'est pas difficile à trouver, il doit y avoir des panneaux, des affiches. Pas de panneaux, pas d'affiches; je cherche quelqu'un à qui demander mon chemin, je ne rencontre qu'un vieillard pas bavard, qui m'indique du doigt une direction. Une grande porte: ce doit être là. Derrière la porte, une grande salle, pas de scrutateurs, pas d'urnes: une foule compacte d'êtres hybrides, de sortes d'animaux sur leurs pattes de derrière (peut-être des masques, ou des automates?), qui s'agitent en faisant des gestes incompréhensibles. Il y a dans un coin un escalier: le bureau est peut-être à l'étage? Je monte quatre à quatre, ça devient urgent, quelque chose me dit que l'heure de la clôture approche!  En haut, une autre grande salle, celle-ci presque vide: le long des murs, une procession d'autres êtres hybrides, encore plus caricaturaux que les précédents - on dirait de grands moutons maigres - qui se livrent à une sorte de pantomime, à la queue-le-leu, ils secouent gravement la tête, impossible d'en obtenir une réponse. Je redescends, l'escalier s'est considérablement dégradé, il semble plus étroit aussi, des décombres partout, les marches craquent. La pièce du bas s'est vidée, elle aussi semble tomber en ruine, une seule personne à qui demander mon chemin, une chose contrefaite à la tête porcine, qui ne me répond que par des ricanements. Fichtre, j'ai bien l'impression que l'élection va se faire sans moi est ma dernière pensée avant mon réveil.


Douche froide, disais-je en commençant; j'ouvre la fenêtre (je dois sortir sans trop attendre, c'est l'heure où s'ouvre le marché et je n'aime pas en manquer le début, après il y a trop de monde); dehors il pleut, il fait froid. 


lundi 4 novembre 2024

Comme un trou dans un paysage

 Les Frères Hildebrandt font depuis si longtemps partie du paysage de la Fantasy que je les imaginais vivant hors du temps, dans quelque trou de Hobbit équitablement partagé et astucieusement aménagé (un tabouret pour Tim, un tabouret pour Greg, et, sur une très grande table, assez de godets et de pots à pinceaux pour soixante personnes - ils travaillaient "à l'ancienne"). Je viens seulement de réaliser, avec un certain retard (quatre jours, ou dix-huit ans, selon la perspective qu'on adopte) en lisant le blog d'imaginos, qu'ils n'étaient ni si inséparables ni si inaltérables que ça.

Ainsi parla Imaginos:

"L’illustrateur Greg Hildebrandt,
bien connu pour ses œuvres (seul ou avec son frère Tim)
dans le domaine de la fantasy,
mais qui illustra également (entre autres)
la jaquette de l’album Mob Rules de Black Sabbath,
est mort hier (31 octobre),
plus de dix-huit ans après son jumeau.
Il avait 85 ans."

Hé oui, c'est eux deux qui ont fait ça.

 image © Greg et Tim Hildebrandt (et la Force sait combien d'autres copyrigh-holders)

 

vendredi 1 novembre 2024

Changeons-nous, nous aussi?

Changement d'heure, changement de mois... changement aussi à la galerie Martel; c'est vrai, je ne vous avais pas signalé (ces derniers temps, je n'avais pas la tête à ça) cette exposition Miles Hyman (Ephemeria I, du 4 octobre au 2 novembre 2024): si vous ne l'aviez pas déjà trouvée tout seuls, il ne vous reste que ce week-end pour la voir!
À partir de la semaine prochaine (et jusqu'en janvier: ça vous laisse du temps) c'est Emil Ferris qui remplace Miles Hyman; vernissage jeudi 7 novembre à 18 heures en présence de l’artiste. Elle, ce qu'elle aime, c'est les monstres: son "Livre Deuxième" vient de sortir aux éditions de  Monsieur Toussaint Louverture.
Non, je n'ai pas d'actions de la galerie Martel; il se trouve qu'ils font toute l'année des expositions qui m'intéressent, je n'y suis pour rien!

MARTEL PARIS, 17 rue Martel - 75010 Paris, France

vendredi 25 octobre 2024

L'appétit d'Octobre n'est pas encore rassasié, bis

 L'appétit manifesté par ce mois d'octobre n'aurait pas dû me surprendre.
Comment ai-je pu oublier que c'est le 25 octobre qu'est célébrée (depuis 1995) la Journée Mondiale des pâtes?

Un bon plat de pâtes, c'est l'entrée idéale avant un bon repas, ça ouvre l'appétit comme jamais. Profitez bien de cette journée mondiale!

video © Nature's Fantastic

samedi 12 octobre 2024

L'appétit d'Octobre n'est pas encore rassasié

 Robert Coover, un écrivain costaud, vient de mourir à quatre-vingt douze ans. Il y a sept ans, il étonnait encore le monde des lettres américaines en publiant Huck Out West, une suite aux Aventures d'Hucleberry Finn, désormais non plus sur le Mississipi mais dans l'Ouest lointain et sauvage; on y constate qu'à l'âge adulte Huck n'était pas tout à fait réconcilié avec l'orthographe et la syntaxe. Deux constantes dans l'œuvre de Coover: il aimait bien revisiter les classiques et y malmener un peu la langue (ainsi que quelques autres parties du corps). J'ai justement sous la main son Pinocchio à Venise, où il applique au personnage de Collodi le même traitement qu'à celui de Mark Twain (peut-être même en plus méchant); vous aimeriez peut-être que je vous en parle? Non, vous êtes sûrs?
Edwin Turner se souvient de lui avec émotion et résume sa bibliographie en quelques paragraphes.

Et ça n'a pas suffi à Octobre, qui voulait aussi Claude Lapointe, dessinateur bien nommé car pointu du crayon. Sa spécialité: l'illustration de livres pour enfants (mais pas que).
Lauréat du Bretzel d'or, il a illustré Pierre Gripari, Dino Buzzati, Louis Pergaud, Mark Twain (tiens?) et Michel Tournier; ses dessins s'entendaient bien avec des textes à l'humour un peu décalé. Je me demande comment il aurait illustré Pinocchio à Venise? 

 

Robert Coover, 1932-2024
Claude Lapointe, 1938-2024

 

mardi 8 octobre 2024

Octobre, à quand la fête?

"Oublie que t'as aucune chance, vas y fonce.
On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher".

Octobre est pressé: dès les premiers jours, il s'approprie Pierre Christin et Michel Blanc, qui n'avaient en commun que le désir de distraire leur public du mieux qu'ils pouvaient. Octobre, dirait-on, s'ennuie déjà, il semble avide de distractions et de menus plaisirs. On se demande, un peu inquiet, quelles friandises il réclamera pour Hallowe'en?

Pierre Christin 1938-2024
Michel Blanc 1952-2024

mercredi 2 octobre 2024

Une Dame est une Dame est une Dame

 Pour se démarquer de son prédécesseur Août, qui avait préempté le large sourire chaleureux de Gena Rowlands, c'est l'aristocratique sourire pincé de Maggie Smith (plus dissuasif que l'exhibition d'une rangée de dents de requin pour faire barrage à toute contradiction, comme le démontra Dame Maggie dans plus d'un rôle mémorable) que Septembre a choisi de figer pour la postérité.

Maggie Smith, 1934-2024

 

jeudi 26 septembre 2024

Un duché en déshérence


Crad Kilodney était un aristocrate à l'ancienne mode. 
Enfin… il appartenait à l'aristocratie de l'Amérique du Nord, continent où les modes changent souvent, alors, à présent, "aristocrate à l'ancienne mode" ne veut peut-être déjà plus dire grand' chose. 
En son duché de Sherbourne (sur lequel il est inutile de chercher des précisions dans le Domesday's Book ou dans Burke's Peerage and Baronetage), on pouvait le rencontrer, à la fin du siècle dernier, au bord d'un trottoir, proposant aux passants - pour pas cher - les petits bouquins ("pamphlets", comme disent les Nord-Américains) qu'il écrivait, imprimait et brochait lui-même, et auxquels il donnait des titres engageants, comme, par exemple, Simple Stories For Idiots. Certains de ces pamphlets peuvent se retrouver dans leur édition originale sur AbeBooks, où l'on vous en demandera bon-bon. Vous ne pourrez pas en faire l'acquisition à meilleur prix, vous n'êtes pas pour ça au bon endroit au bon moment: ça vous fait un point commun avec Crad Kilodney, qui fut toute sa vie en décalage avec l'espace, le temps et le milieu littéraire. Si Crad Kilodney était encore parmi nous, postant sur Twitter, sur Instagram ou sur TikTok, il serait peut-être devenu un influenceur qui lancerait des modes, qui sait?

Crad Kilodney, duc de Sherbourne, en son fief

 

Mais il est parti, en laissant sans héritier son duché des trottoirs de Toronto, Ontario (vous l'avez compris - ou pas - Sherbourne, c'est le quartier dont il battait le pavé, et dont, de sa propre autorité, il s'était intitulé duc).

De 1978 à 1992, il imprima 32 de ces petits formats, de très courts romans ou des recueils de nouvelles, auxquels s'ajoutèrent quelques volumes chez des éditeurs tout petits, certes, mais ayant pignon sur rue comme des grands: Black Moss Press, Virago Press, Coach House Press...
On raconte que les deux derniers parus, chez Black Moss Press: Malignant Humours et Girl On The Subway and other stories, seraient encore disponibles chez des libraires américains - il faut bien les chercher. De 1995 à son départ en 2014 pour une destination tellement exotique que plus exotique que ça, tu meurs, il tint un blog, dont les archives lui survivent grâce à son amie Lorette Luzajic.

Dans un de ses derniers messages, il adressait un clin d'œil à ses (rares) lecteurs français: "My French book, Villes Bigrement Exotiques, is still in print".

Pour les lecteurs francophones, sa bibliographie est très brève:

- d'abord, un guide bigrement recommandable*: Villes Bigrement Exotiques, édité par Le Dilettante, 2012
ISBN: 978-2-84263-709-5

- ensuite, le posthume Crad Kilodney: Trois contesédité par Cormor en Nuptial, 2019

Précisions pour les bibliophiles : ce petit livre de 64 pages, réalisé avec soin (couverture illustrée à rabats, reliure en cahiers cousus) peut être commandé en librairie ou bien en envoyant directement 15 euros (port inclus) à l'éditeur :
Cormor en Nuptial Editions
27 Rue Saint-Martin
B-5060 Tamines (Belgique)
Contact par e-mail : cormorennuptial@gmail.com


*Note pour les curieux insatiables: peut-être vous arrive-t-il de penser, comme Lewis Carroll: Les gens qui n'existent pas sont tellement plus gentils que les gens qui existent! Jamais ils ne vous contredisent, jamais ils ne vous marchent sur les pieds, jamais ils ne viennent boire votre tasse de thé! Alors, vous apprécierez davantage les villes qu'Arnaud Maisetti propose à ses lecteurs de visiter avec lui. Lesquelles? Celles qui n'existent pas.