jeudi 24 avril 2014

L’oreille du mystère


On met aujourd’hui ce mot de « fantastique » à toutes les sauces.
Créé  par la fantaisie, l’imagination… dit le Petit Larousse.
Du fantastique de Kafka, de Meyrink, de Lovecraft, ne devrait-on plutôt dire: créé par une nécessité interne mille fois plus réelle que la réalité extérieure, une nécessité où la fantaisie et l’imagination n’ont qu’une part infime. Cette réputation d’écrivain fantastique m’incommode. Je suis réaliste, mais ma réalité n’est pas la vôtre, ai-je envie de répondre à ces écrivains du soi-disant réel, qui atrophient leur regard pour le limiter à la seule perception immédiate. Comme certaines peuplades primitives ignoraient que l’accouchement fût le résultat des rapports de la femme avec l’homme,  nous ignorons encore par quelle mystérieuse copulation avec les êtres invisibles s’opère le difficile enfantement des œuvres de l’esprit.


Il est bien vrai qu’il y a deux sortes d’écrivains. Essayons par un apologue de démontrer leur différence.
Je me souviens de cette vieille fille qui, dans mon enfance, gardait les enfants du patronage, leur racontant en toute innocence l’histoire que tout le monde sait: Monsieur et Madame sont au lit, la bougie est allumée, qu’est-ce qui fond? Grands yeux et petits rires effarouchés des grandes personnes présentes (ils avaient entendu: qu’est-ce qu’ils font?) que rassurait bientôt a réponse assurée de la vieille fille: la bougie.


Nos écrivains réalistes ressemblent, innocents ou non, à cette vieille fille jouant avec un feu qu’elle ignorait.
Pour eux c’est la bougie qui fond. N’est-ce donc pas la bougie qui fond? Évidemment c’est la bougie qui fond. L’écrivain réaliste rassure, tranquillise, malgré ses airs de tout casser.
L’écrivain du secret, au contraire, s’il aime l’équivoque et l’ambiguïté, ne s’y laisse pas prendre. Son rôle est d’inquiéter et s’il ignore ce que parler veut dire il connaît le vrai sens des mots.
Il a, pour les entendre, l’oreille du mystère.


Et s’il se plaît à jouer avec le feu, c’est en sachant fort bien que le feu brûle. Monsieur et Madame sont au lit et que la bougie fonde ou non là n’est pas le mystère.
Le mystère commence à ce qu’ils font.


La vie en rêve, Phébus, Paris, 1997
(première parution sous le titre Le bien rêver
chez Robert Morel, 1968)



illustration:
Jean-Baptiste Santerre (1658–1717) 
La Jeune Fille à la Bougie
(anciennement attribué à Godfried Schalcken)


vendredi 18 avril 2014

Gabo a cent ans


Je suis sorti dans la rue, 
et pour la première fois je me suis vu à l'horizon lointain de mon premier siècle.

(Memoria de mis putas tristes, 2004)
traduit par Annie Morvan, Grasset, 2005

lundi 14 avril 2014

A little tiny Emily Dickinson so big that I carry in my pocket everywhere


Et j’ai un tout petit Emily Dickinson, 
juste de la taille d’une poche, 
pour que je puisse l’avoir partout 
avec moi. 

Qu'est-ce que j'ai dans ma poche?

Comme ça, chaque fois que je veux, je n’ai qu’à lire 
trois petits poèmes d’Emily 
(elle est si brave, elle est si forte, il y a tant de 
passion dans cette petite créature)… 
et tout de suite je me sens 
mieux.
Maurice Sendak 
(dans une interview donnée à PBS, 1997)


photo: Nancy Crampton

jeudi 10 avril 2014

Masques



J’étais sorti faire prendre l’air un moment à mon masque de lance. Quand je rentre, je croise mon voisin de palier qui revient lui aussi, justement, de la promenade hygiénique de son masque de maremme de Naubant.
Comme à l’ordinaire, nous n’échangeons qu’un rapide salut.
Mais il s’attarde sur le pas de sa porte, je m’en aperçois au moment où je referme la mienne, car il a du mal à faire rentrer la petite chose* espiègle qui voudrait bien ressortir,  essayant de passer entre ses jambes, griffant le plancher, poussant de petits cris: elle a dû trouver la promenade bien courte, car, contrairement à mon masque de lance, casanier et un peu timide, tous les masques de maremme de Naubant - je l’ai souvent entendu dire - ont besoin de beaucoup d’exercice.

Sans doute le manque d’affinités entre mon voisin et moi est-il reflété par - entre bien d'autres choses - le choix de nos masques.


*dans ce rêve, la chose appelée masque de lance était un objet blanc et anguleux que je tenais à la main, le masque de maremme, au contraire, était une petite créature à la nature incertaine et aux contours imprécis, tenant du chat, du blaireau et du furet.

samedi 5 avril 2014

Silly pictures


Que Bill Watterson souffle sur la poussière qui s’était déposée sur sa bouteille d’encre de Chine (enfin, c’est lui qui le dit: le soupçon me vient qu'il pourrait bien en avoir vérifié le niveau de temps à autres au cours des vingt dernières années, un bon artisan ne néglige pas ses outils comme ça), on l’attendait depuis longtemps.

Il l’a fait!

Bon, on le sait, Bill Watterson n'avait, en fait, jamais lâché ses pinceaux; la nouveauté, c'est que cette fois il est revenu au style de ses daily strips du bon vieux temps, style qu'il avait abandonné pour s'adonner à plein temps à la peinture à l'huile. Lorsqu’il y a deux ans il avait contribué au fundraiser en faveur de son confrère et ami Richard Thompson en réalisant en hommage à son strip Cul-de-sac un portrait d'un de ses personnages (Petey) c'est l'huile qu'il avait utilisée.
Et voilà qu’il a dessiné l’affiche du  film de Dave Kellett et Frederick Schroeder  Stripped!  (le point d’exclamation prévu à l'origine, et qui, bizarrement, a disparu de la version définitive de l'affiche, ne me paraît pas insignifiant): un documentaire sur la situation actuelle du strip périodique, en ces jours où tout le monde et son chien abandonne la feuille de chou au profit de la liseuse ou de la tablette. Le film contient des interviews de Jim "Garfield" Davis, de Scott "Undestanding Comics" MacCloud, de Watterson bien sûr, et de dizaines d'autres.
Aside from supplying a few sentences to the documentary, I’m not involved with the film, so Dave’s request to draw the poster came completely out of the blue,” a déclaré Watterson au Washington Post ("à part ma brève apparition à l'image, je n'ai été impliqué en rien dans la réalisation de ce documentaire, aussi la demande d'une affiche, venant de Dave, m'a pris par surprise"). “It sounded like fun, and maybe something people wouldn’t expect, so I decided to give it a try. Dave sent me a rough cut of the film and I dusted the cobwebs off my ink bottle” ("c'était une idée marrante, et ça pouvait peut-être attirer un peu l'attention du public, aussi j'ai décidé d'essayer, pour voir. Dave m'a envoyé une copie de travail de son montage et j'ai épousseté les toiles d'araignées qui recouvraient mon encrier").

It’s a silly picture that sums up my reaction to the current publishing upheaval*, so I had a good time, and I hope it brings the film some attention”: c’est dans ces termes qu’il a décrit l’affiche.

C’mon, kid, do something funny.

"Attirer un peu l'attention", c'est un euphémisme, Bill. Ton retour à la vie publique était si ardemment espéré, et depuis si longtemps, que cette affiche aurait fait parler d'elle même si tu avais juste renversé l'encrier sur la feuille.
Alors, tu penses, un cartoonist au nez rouge et les fesses à l'air, on peut être sûr que ça fera jaser.


Dans ces conditions, est-il si déraisonnable que ça d’espérer que le lauréat du grand prix d’Angoulême 2014  sortira pour le festival de l'année prochaine une affiche de derrière ses fagots, comme le veut la vénérable tradition angoumoisine?
Et même, soyons fous, qu'il se déplacera pour recevoir les clés de la ville?

D'éminents spécialistes de la BD avaient émis des réserves sur la probabilité de ces événements.

Une boule de neige roulée par Li-An.

J'espère quant à moi que Watterson écoutera l'avis de Calvin, comme toujours de bon conseil:


it's fun to win!
Si le cartoonist américain pose comme condition à sa venue qu’on lui laisse conduire le camion des pompiers en tête de la parade dans les rues d’Angoulême, je suis sûr que ça peut s’arranger (et même qu’en grand secret, les pompiers, qui ne sont pas moins fans de Calvin et Hobbes que vous et moi, doivent déjà astiquer, à tout hasard, leur grande échelle).

* N'ayant pas vu le film, je préfère laisser pendante la question: qu'entend Watterson par upheaval? Renaissance, révolution, bouleversement, chaos, déménagement à la cloche de bois? On en reparlera plus tard, d'accord?

Stripped!, un  film de Dave Kellett et Frederick Schroeder .
Financé grâce à un Kickstarter, le film est téléchargeable sur iTunes et sera bientôt disponible en DVD.

Les dessins illustrant ce billet sont de Bill Watterson
(les petits bonshommes ébourrifés) 
et de Li-An (le tendre hommage).

vendredi 4 avril 2014

Avancées décisives


Cette année, le printemps, 
n'en pouvant plus d'attendre le 21, 
a commencé le 20 mars à 17 heures, 
et le premier avril a été avancé 
à la fin mars.


Jacques Tardi, Momies en folie.