mardi 24 décembre 2013

Ooooooooh ...


... it's this time of year again!



Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais moi ça me prend toujours par surprise (mais où est passé l'automne? Et où, l'été? Et le printemps? Et toute cette fameuse année 2013, en gros et en détail, elle est où? On n'est pas déjà en décembre, tout de même? Vraiment? Alors essayons de tirer le meilleur de ce qu'il en reste: je vous le souhaite de tout cœur!) 


Photo: MGM / United Artists

mardi 17 décembre 2013

La montée


La route me paraît familière, et, de fait, cette route rêvée a de nombreux points communs avec une route qu'éveillé j'ai parcourue des milliers de fois: les panneaux indicateurs rouillés, la voûte verte des branches sur la plus grande partie du chemin, la grande courbe contournant le contrefort de la colline après laquelle on aperçoit, au loin, pour la première fois, le village; puis nous bifurquons, nous quittons l'asphalte de la départementale pour un chemin de terre qui monte en pente de plus en plus raide. C'est là, aussi, que pour la première fois divergent le rêve et le souvenir: ce chemin, je suis sûr que c'est la première fois que nous le prenons. Un raccourci?
Sans surprise, je vois, au terme de la montée, 
les arbres s'espacer et le chemin raboteux déboucher sur une large allée cavalière bordée de cèdres. 

Au bout de l'allée, la maison.


Cette maison au bout de l'allée n'a pas plus d'existence diurne que le chemin de terre qui y mène; pourtant, dans les derniers instants du rêve le sentiment d'étrangeté qui a pu naître de ce mélange d’imaginations fantasques et de souvenirs précis  
s'efface devant cette certitude: 
nous sommes arrivés chez nous.


Photo: Martin Waldbauer,  tous droits réservés

samedi 14 décembre 2013

Bonsoir doux amour, comme disait Shakespeare


Murdered sleep
I just woke up from a dream in which I was a ghoul snacking on a severed head. Unfortunately, unbeknownst to me, the zombie apocalypse had happened and the head started screaming at me. 
It was actually kind of comical, but it hath murdered sleep, at least for the moment. 


Sommeil cou coupé
Je viens juste de faire un rêve dans lequel j'étais une goule et, en guise de snack, je me grignotais tranquillement une tête coupée.
Pas de chance, sans que personne ne m'ait prévenu, voilà la zombie apocalypse qui commence et la tête se met à me crier après. 
En fait, c'était plus drôle qu'autre chose, mais ça a tué le sommeil (comme aurait dit Shakespeare) au moins dans l'immédiat.

Vous venez de lire:
publié sur son blog 
Dispatches from Tanganyika


Comment rendre,  dans une traduction de la langue A vers la langue B, une allusion littéraire immanquable pour les lecteurs éduqués dans la langue A, mais qui pourrait très bien échapper aux lecteurs de langue B? Compte tenu du fait que ce genre d'allusion bateau sert en général un propos plus ou moins humoristique, convient-il de la rendre plus évidente en la glossant un peu, ou de la transposer par un poncif d'une équivalente notoriété dans la langue-cible (là j'ai testé les deux solutions)? Ou de laisser courir? Votre avis est le bienvenu.

Le lieu d’herbes


Car voici que je ferme les yeux, et que je vois devant moi, quoi? quelque chose de nullement peu distinct, mais de très proche et clairement perceptible. À ma gauche et à me droite des murs de très vielle pierre, se portant devant moi vers l‘horizon, pas très loin, sous un beau ciel bleu de jour d’été. Et entre ces murs et comme naissante sous mes pieds une étendue d’herbes plutôt sauvages et hautes, avec parfois des orties et, comme se dégageant de cette confusion, trois ou quatre roches éparses.


Rien d’autre, sauf qu’émane de tout ce que je vois en cet instant une impression de réalité très forte: j’ai le droit de parler ainsi car cette vision n’est pas un exemple que je viendrais d’inventer pour me faire entendre mais un événement que j’ai effectivement vécu, et même qui m’est familier. Je vois souvent ces pierres, ces herbes, et ma réaction, immédiate, est toujours la même: ce lieu existe, ou plutôt il est, et j’y suis, c’est mon ici, et me^me un ici sans le moindre ailleurs. Car y étant je n’imagine rien d’autre, rien même qui serait tout près au-delà de ces murs de gauche et de droite.
[…]
Le lieu d’herbes, je puis maintenant me dire que ce n’est rien d’autre en moi que le souvenir d’un de ces moments de l’enfance où une chose ou une situation se firent épiphanies, unité en passe de se retirer sous le revêtement conceptuel et se disant alors, se montrant. Peut-être que ces deux murs, ce bout de prairie entre eux, ces pierres au loin sous le ciel, m’avaient retenu, un jour d’autrefois, pour quelque raison en plus que leur pure et simple évidence, par exemple une parole alors dite, une personne présente là: émotions aujourd’hui oubliées mais qui peuvent leur faire place dans d’autres schèmes d’explication, par exemple ceux que la psychanalyse explore.
[…]
Il est donc une part de cette mémoire de la présence qui est la cause en nous de la sensibilité poétique, du projet de la poésie.
Le lieu d’herbes, le lac au loin
éditions Galilée, 2010
ISBN 978 2 7186 0822 8

mardi 10 décembre 2013

Valeur et sentiments


Comment procède-t-on pour charger un objet d’énergie magique et ainsi le transformer en mojo?
L’auteur de l’enchantement l’imprègne longuement de ses propres fluides corporels, sueur et, si possible, larmes.
Aspersions de diverses liqueurs fortes (les éclaboussures de café noir ne sont pas obligatoires, mais pas interdites non plus), fumigations de tabac et autres plantes sacrées complètent le processus.
Et puis, on lui donne un nom, comme à un filleul.

L’objet qui est à présent mis aux enchères ici, sur eBay, est passé par toutes les étapes de ce processus: saturée de fluide mesmérique, de pouvoir voodoo, de souvenirs, ou de quoi que ce soit qui imprègne les objets au passé chargé (on peut donner à ce quoi que ce soit le nom qu'on veut: la patine, par exemple), voici la machine à écrire sur laquelle, en 1988-1989, dans la chaleur moite de la Nouvelle-Orléans, a été écrit Lost Souls, premier grand succès de librairie de Poppy Z. Brite, et non le moins radical de ses livres.
Il s’agit d’une Smith-Corona électrique, bleue, achetée (neuve!) à Chapel Hill, Caroline du Nord, en 1979. Poppy avait douze ans, alors en fait c’est sa maman qui la lui a achetée. C’est bien l’écrivain, en revanche, qui lui a trouvé le petit nom qu’elle a gardé depuis:
La Bête Bleue
et qui a tapé dessus sans faiblir pendant dix fécondes années. Détrônée dans les années 90 par un ordinateur,  conservée pour sa valeur sentimentale, la Bête est proposée aujourd'hui comme objet de collection: elle est encore en état de marche, plus ou moins, il ne faut pas trop lui en demander. Parce que vous aimez bien les romans de Poppy Z. Brite, comme témoignage de cette ère révolue où les romans s’écrivaient sur des monstres de métal assez lourds pour lester un cadavre, comme conversation starter ou tout simplement comme serre-livres, pour espacer un peu les romans de vampires dont vos rayonnages sont déjà bien remplis? Les raisons de vouloir la posséder ne manquent pas.

The Blue Beast.

"This typewriter is being sold as a collectible. The power supply works, but I have not tried typing on it in many years. It has a lot of wear and tear, all inflicted by me, since I bought it new in 1979 and it has never been used by anyone else. It is somewhat sullied with the grime of the years, and I will be happy to clean it before shipping at your request; otherwise I will ship it as is, since many collectors prefer not to have such items cleaned or altered in any way."

Avantage collatéral: en enchérissant dessus, vous contribuerez dans la mesure de vos moyens à atténuer un peu les difficultés financières que connaît l’écrivain autrefois nommé Poppy Z. Brite, qui préfère à présent qu’on l’appelle Billy Martin, ou Doc Brite - ou Doc tout court, pour les amis - difficultés auxquelles l’écrivain a fait allusion plusieurs fois sur son blog (vous pouvez aussi rendre visite à sa boutique Etsy - original artwork & New Orleans voodoo supplies for sale! - pour vos achats de fin d’année).

Si vous voulez devenir légitimement propriétaire de ce puissant talisman, il vous reste quatre jours pour enchérir… non, déjà plus que trois, le temps passe vite.


Épilogue: à la clôture des enchères, la Bête Bleue est partie pour 355 dollars.


La photo de la Bête Bleue est © Poppy Z. Brite / Billy Martin.

jeudi 5 décembre 2013

Le réconfortant secret du Docteur Hitchcock


Edward Hitchcock (1793 – 1864),
géologue, botaniste et troisième President
de l'Amherst College (1845–1854),
auteur du Catalogue of the Plants
within Twenty Miles of Amherst
(1829)

On m'a offert il y a peu un cadeau qui m'a fait grand plaisir: le joli petit livre que Christian Bobin a consacré à Emily Dickinson: La Dame Blanche.
J'y lis ces lignes réconfortantes:

L’auteur d’un manuel sur les fleurs d’Amérique du Nord parle avec la même ardeur de l’innocence des ronces et de la sauvagerie du ciel où personne n’entre de son vivant. L’enthousiasme de ce jardinier visionnaire la séduit. « Quand j’étais petite et que des fleurs mouraient, j’ouvrais le livre du docteur Hitchcock. Cela me consolait de leur absence et m’assurait qu’elles vivaient encore. »

Comme vous pouvez le voir, Ernesto Gastaldi, qui écrivit pour Riccardo Freda le scénario du film fameux qui a répandu dans le public l’idée que le secret du docteur Hitchcock était effroyable a quelque peu  affabulé.

Vivent les livres qui réconfortent.

Apocynum androsaemifolium
(dog's bane )


Christian Bobin, La Dame blanche
Gallimard, 2007


Faute d'avoir trouvé sur le net une illustration 
du livre du docteur Hitchcock à vous montrer, 
j’ai mis, juste pour faire joli, une planche de l’American Medical Botany de James Bigelow, son contemporain et expert, lui aussi, de la flore du Massachussets, que j’ai empruntée à Bibliodissey 
(merci encore, Bibliodissey!); 
le portrait du bon docteur, quant à lui, provient de Wikimedia.

dimanche 1 décembre 2013

Monstration


Je suis en avance, sans doute: les gradins du cirque sont encore vides. Assis sur une banquette d’une rangée élevée, je baisse les yeux vers la piste. 
Le montreur de phénomènes aide l’homme-corail à enfiler son costume. 
Comme John Merrick, l’homme-éléphant, la merveille exotique est un pauvre homme dont l’ossature présente des déformations extrêmes, sans doute congénitales: un bras trop long et tordu, une jambe trop courte, une bosse d’une ampleur fantastique. Mais son imprésario estime que son apparence n’est pas encore assez étrange pour émerveiller le public, et lui impose le port d’une tenue de scène: un collant ajusté couleur chair, sur lequel on a fixé je ne sais comment (leur réalisme est surprenant: les y a-t-on cousus ou les y a-t-on fait pousser?) des appendices en forme de branchages, si touffus que de loin on dirait une masse de lichen, elle aussi de couleur chair. 
En fait, ce à quoi ce déguisement me fait penser, ce n’est pas vraiment à un buisson de corail, mais à un de ces succulents champignons qu’on appelle pied-de-mouton. À ma grande confusion, je réalise que cette mascarade de mauvais goût, au lieu de ma compassion pour sa victime, c’est mon appétit qu’elle éveille. 
Mais comment commander une bonne fricassée de pieds-de-mouton sous ce pauvre chapiteau? Comme la vie, le rêve est parfois injuste.