vendredi 26 juillet 2013

L'actualité littéraire de l'été en quelques clics


Le sérieux et la pertinence des études prévisionnelles de l'Institut Tororo sont unanimement reconnus dans le monde entier.
Le département Littérature Internationale de l'Institut vient de nous communiquer (en exclusivité) sa top-list des lectures de l'été.

Cet été, tout le monde lira Notes, de Boulet, même les plus grandes stars américaines (ici, Felicia Day).



Cet été, tout le monde lira The Ocean at the End of the Lane, de Neil Gaiman, même les plus petites poupées coréennes (ici, le dernier-né du fabricant de poupées coréen Dollmore: Luen).



Cet été, tout le monde lira Le Livre de Skell, de Mangin et Servain, même les chats de taille moyenne (ici: A-for-Anonymous, Nimou pour les intimes).





Notes, de Boulet, se trouve en abondance (7 tomes parus, éditions Delcourt) dans les bonnes librairies.

The Ocean at the End of the Lane, de Neil Gaiman, (Headline publishing, 2012 pour la première édition), n'est pour l'instant disponible qu'en anglais, mais il est annoncé en français pour bientôt.

Le Livre de Skell, de Mangin (scénario) et Servain (dessin): le chant 1 est paru (Soleil, 2012), le chant 2 sort dans quelques jours!



Crédits photo: Boulet Corp, Delcourt, Dollmore, Headline, Kes Darwin et Soleil.

lundi 22 juillet 2013

Miniature


Encore un micro-rêve (ou plutôt un rêve miniature?).
Un rêve de quelques secondes, pendant un bref endormissement diurne, se termine sur une vue fixe, une vision figée, que je contemple, perplexe: trois chevaliers en cottes d'armes aux couleurs vives,  dans le style des peintures du XIII° siècle… d'ailleurs, raides et guindés comme ils sont, ils ont tout à fait l'air de faire partie d'une enluminure… en fait, c'est bien le cas, ce sont des miniatures, et leur vision du monde semble bien, elle aussi, être en deux dimensions: malgré leur condition de figures plates, qui limite leur liberté d'initiative, ils échangent des injures:

- Couard! 


- Félon!

- Vilain!



... Mais pourquoi sont-ils si en colère?





L'illustration provient du Codex Manessé, 
qui se trouve à la bibliothèque de l'université de Heidelberg.





Post-scriptum du 24 juillet: vous aimez les enluminures? Allez donc en admirer de bien curieuses, ici, ou bien , ou encore ici, selon que vos préférences linguistiques vont à l'anglais, au français ou au hongrois (et pour en savoir davantage, allez faire la connaissance de Boris Indrikov, ici);  et surtout prenez votre temps, flânez de page en page, les visites à ce blog, Poemas del Rio Wang, réservent toujours des surprises!



samedi 20 juillet 2013

Ma vie, titre définitif


Jack-Alain Léger (pseudonyme de 
Dashiell Hedayat, ce n'est plus un secret désormais) 
s'est offert la mort, 
un des derniers vrais luxes 
qui soient restés abordables 
pour les gens comme vous et moi
(et, donc, lui).

Dashiell Hedayat en 1971

Photo: Free Press!

samedi 13 juillet 2013

Goblin market


L'été est une saison où l'on n'a pas besoin de chercher d'excuse particulière à sa paresse.
Aussi dans ce billet je vais y céder, à ma paresse, et au lieu de poster mes habituelles élucubrations, je vais tout simplement rebloguer quelques informations puisées aux meilleures sources, en faisant lentement tourner les glaçons dans mon daïquiri. Si, comme il est fort probable, en ce moment votre chambre vous semble plus fraîche que votre terrasse et votre clavier moins collant que votre tube de crème solaire, suivre ces quelques liens, je vous le promets, ne vous fatiguera pas trop.

Shige a récemment rappelé aux lecteurs de son blog que s'ils cherchent des livres de Kerouac, de Brautigan, de Meyrink, de Crumb, des frères Picasso (les vrais, les seuls: Kiki et Loulou), de Milton Glaser ou de Caroline Sury, de Suehiro Maruo ou de Horst Janssen, bref des livres qu'ils ne trouvent pas ailleurs, c'est à la librairie Un Regard Moderne qu'il faut qu'ils les cherchent!  Qu'ils soient branchés cuisine paléolithique façon Joseph Delteil ou cuisine cannibale style Roland Topor, que leur came, ce soit les pavés de papier glacé produits dans les usines de Georges Lucas ou les incunables tirés à la presse à bras dans la cave des éditions Le Dernier Cri, c'est là-bas qu'ils ont les meilleures chances de trouver ce qu'il leur faut.

Lecteurs du blog de Tororo, vous avez bonne mémoire, et vous vous souvenez sûrement qu'on en avait déjà parlé ici l'an dernier; mais, sur le moment, vous vous étiez peut-être dit:
"Une librairie où, sur quatre mètres carrés, s'entassent des dizaines de milliers de livres introuvables? 
"Et de plus, située dans une des rues de Paris les plus chargées de souvenirs littéraires: la rue Gît-le-cœur! 
"On n'y croit pas, c'est un peu trop beau pour être vrai: ça sent la fiction, ça ressemble trop à ces librairies imaginaires dont on parle dans les romans de Carlos Ruiz Zafon, d'Arturo Perez-Reverte, d'Umberto Eco; un de ces endroits où un personnage des Cités de la Nuit Écarlate se rendrait pour s'y procurer le matériel nécessaire à la confection du faux journal de bord d'un pirate du XVIII° siècle, où un détective sorti de l'imagination d'Howard Fast ou de William Hjorstberg irait chercher des poupées vaudou et le manuel pour s'en servir…"

Une des mystérieuses poupées
qui veillent sur le stock de la librairie
Un Regard Moderne.

Votre scepticisme n'est pas sans excuses, je répète donc le message; et si vous n'êtes pas convaincu, regardez: à présent, la librairie a même une page Facebook! Quand on est sur Facebook c'est bien la preuve qu'on existe, non?


Et les kickstarters, vous connaissez le principe? c'est un peu comme l'édition par souscription: vous promettez une participation au financement d'un projet, et l'auteur du projet vous promet une petite gâterie si le projet voit le jour: un tiré à part, une dédicace, ou mieux s'il a de l'imagination…

Terry Windling, blogueuse aussi infatigable que Shige, entre deux essais sur les univers de la fantasy ancienne et moderne, a récemment attiré l'attention de ses lecteurs sur deux de ces nobles causes en quête de mécènes. Si, suivant le conseil de Terry Windling, vous allez voir la page kickstarter de Gary Lippincott (qui vient de réunir par ce moyen le financement de l'artbook qu'il veut éditer), il y explique pourquoi il a fait ce choix d'auto-édition.

Toby Froud  a fait le même choix; vous vous souvenez de Toby Froud?
...  comment ça, non?
Allons donc, vous ne connaissez que lui.
C'était lui, Bébé Toby, ce bébé appétissant comme un sucre d'orge que Jennifer Connelly allait (il y a un peu plus de vingt ans) chercher dans le Labyrinthe - celui du film de Jim Henson et Brian Froud. et qu'elle réussissait contre toute attente à arracher aux mains gantées de David Bowie.

Voilà à quoi ressemblait Toby Froud
il y a (en gros) un quart de siècle.

Toby dessine comme son papa Brian et sculpte comme sa maman Wendy; et à présent qu'il est grand, voilà qu'il veut faire des films comme tonton Jim!

Et voilà à quoi il ressemble aujourd'hui.
Être élevé par une meute de gobelins,
ça laisse des traces.

Formé par les meilleurs maîtres (il a travaillé dans l'atelier des Muppets et celui de Weta Workshop) il a déjà créé les marionnettes qui seront les vedettes de son film - car, vous l'avez deviné, ce sera un film d'animation. D'ailleurs, les souscripteurs les plus généreux recevront une des marionnettes du film en souvenir! Ça donne envie, non?

Lesson learned? (pour parler comme Toby Froud).
Quant à moi, je vais retourner chercher quelques glaçons, ça fond vite.

Photos © Tororo, Jim Henson estate et Toby Froud.

mercredi 10 juillet 2013

Un jeu secret (Antonio Tabucchi, 14)




Il prononça le mot undr, qui veut dire merveille. 
[…] 
Je pris la harpe et je chantai une parole différente. 
«C'est bien - articula Thorkelsson, 
et je dus m'approcher pour l'entendre. 
Tu m'as compris
Jorge-Luis Borges, Undr
dans Le Livre de sable.

Sur son roman Requiem, écrit en 1991 directement en portugais lors d'un séjour à Paris, Tabucchi revient en 1998 dans ce bref essai. 
Épilogue: le jour où son éditeur italien voudra publier Requiem en  Italie, Tabucchi (qui, dans l'essai en question, confesse avoir mis au panier un premier jet d'une version italienne des premiers chapitres du roman) préfèrera, plutôt que s'en acquitter lui-même, s'adresser à un de ses collègues traducteurs pour qu'il en établisse la version qui sera publiée dans sa langue natale.


La nuit de mon arrivée à Paris, j'avais fait un rêve que le réveil avait effacé de ma mémoire mais qui, à ce moment précis, dans le bistrot, me revint à l'esprit avec la netteté propre aux rêves qui affleurent de nouveau à la conscience alors qu'on croit les avoir oubliés. 
Il s'agissait d'un rêve d'une inquiétante étrangeté. 
J'avais rêvé de mon père.
Mon père était mort sept ans auparavant des suites d'une terrible maladie, un cancer du larynx. Il avait été opéré dans la clinique d'oto-rhino-laryngologie de sa ville. L'opération avait réussi, dans le sens qu'elle avait eu une issue positive, même si, à cause de toute une série de complications post-opératoires, son hospitalisation s'était finie de façon catastrophique. […]  Mon père ne pouvait plus parler.
[…]
Pendant deux ans et demi, nous avons donc dialogué, en silence, par le biais de la petite ardoise. C'est aujourd'hui seulement que je me rends compte, avec stupeur, qu'il ne m'écrivit jamais la question qu'il aurait logiquement dû me poser, à savoir: «Pourquoi ne parles-tu pas, toi qui peux le faire?» Il ne le fit pas, acceptant ma complicité, tout comme j'acceptai la sienne.  Mais le fait important, à propos de ce que je suis en train de formuler, c'est que nous acceptâmes tous les deux de passer d'un système de communication à un autre système de communication: nous passâmes du plan de l'oralité à celui de l'écriture.
[…]
Cette nuit-là, j'avais donc fait un rêve qui m'avait perturbé: j'avais rêvé de mon père. Cela m'avait perturbé avant tout pour deux raisons: la première, c'était que mon père m'avait parlé, ou mieux, m'avait posé une question absurde.
[…]
Il m'avait interrogé en portugais, et moi, je lui avais répondu en portugais.
[…]
Mon père ne connaissait aucune langue étrangère. Sa langue, qui est celle de Dante dont il connaissait des passages entiers de la Divine Comédie par cœur, c'est-à-dire la langue de mon enfance et que nous avons toujours employée entre nous, était un toscan rustique marqué par des intonations et par un lexique dialectal typiques de la région comprise entre Pise et Lucques, avec un fréquent usage d'archaïsmes.
[…]
Mon père me parla en portugais. Mais «son» portugais que j'entendis dans le rêve, qui transmettait entre les questions l'anxiété, la langueur, la nostalgie, la tendresse et la résignation, possédait cette tonalité de l'anxiété, la langueur, la nostalgie, la tendresse et la résignation qui n'appartient qu'au toscan rustique de mon enfance. Et de plus, c'était sans équivoque possible la tonalité de la voix de mon père.
[…]
...  «Porque é que me estás a falar em português, pai?», c'est-à-dire: «Pourquoi me parles-tu en portugais, papa?» Cette question, mon personnage la pose au fantôme de son père dans le roman, mais en réalité je me la posais à moi-même. Je crois que c'est la question fondamentale de mon roman écrit en portugais, et curieusement, aucun critique ne s'en est aperçu.
[…]
J'ai toujours appelé mon père «mi' Pa'» ou simplement «Pa'», apocope de «papa'», comme cela se fait dans la campagne pisane située aux confins de la  région de Lucques, là où j'ai grandi. À l'époque où j'étais à l'université et commençais à étudier le portugais, j'avais dit un jour à mon père que le mot portugais pá, avec un accent aigu, dans cette langue, est une interlocution amicale dont on a perdu le sens, qui indique l'affabilité entre deux personnes, mais dont l'étymologie est la contraction du mot rapaz (garçon). C'est le seul mot portugais que mon père connaissait. Et quand je l'appelais pa', lui m'appelait . C'était un jeu secret entre nous deux, un idiolecte clandestin que nous utilisions avec une malice presque enfantine, parce que, quand nous nous appelions réciproquement par ce mot en présence d'autres personnes, celles-ci croyaient qu'il s'agissait du même mot, mais moi, je savais que mon père, en le prononçant, y mettait mentalement un accent aigu, et lui savait que j'y mettais mentalement l'apostrophe de l'apocope. C'était une utilisation différenciée d'un mot homophone: je l'appelais «papa», il m'appelait «garçon».
Qui sait si un roman écrit dans une langue qui n'est pas la nôtre ne peut pas naître d'un minuscule mot qui, lui, est exclusivement à nous et n'appartient à personne d'autre. Une syllabe peut parfois contenir un univers.
Paris, février 1998, dans les lieux mêmes où fut écrit Requiem.


Antonio Tabucchi, Sur Requiem
Paris février 1998 
(ce texte a été rédigé en partie 
directement en français par l'auteur, "avec 
la complicité de Bernard Comment"); 
texte repris dans Autobiographies d'autrui: poétiques a posteriori
Éditions du Seuil 2003
ISBN : 2-02-055265-5


lundi 8 juillet 2013

Choses pas vues (3)



[…] pero una cosa, o un numero infinito de cosas, muere en cada agonia, salvo que exista una memoria del universo, como han conjeturado los teosofos.
En el tiempo hubo un dia que apago los ultimos ojos que vieron a Cristo; la batalla de Junin y el amor de Helena murieron con la muerte de un hombre.
Qué morira commigo cuando yo muera, qué forma patética o deleznable perdera el mundo? La voz de Macedonio Fernandez, la imagen de un caballo colorado en el baldio de Serrano y de Charcas, una barra de azufre en el cajon de un escritorio de caoba?

Un choix intéressant d'illustration de couverture,
par les éditions Emecé, pour une édition de poche de El Hacedor.
"Les miroirs et la copulation sont abominables."
Ha ha!

[…]  cependant une chose ou une infinité de choses meurent dans chaque agonie, à moins qu'il n'existe une mémoire de l'univers, comme l'ont supposé les théosophes.
Le temps connut un jour qui ferma les derniers yeux qui virent Jésus-Christ.
La bataille de Junin et l'amour d'Hélène moururent avec la mort d'un homme.
Qu'est-ce qui mourra avec moi, quand je mourrai? Quelle forme pathétique ou insignifiante perdra le monde? La voix de Macedonio Fernandez, l'image d'un cheval roux dans le terrain vague entre Serrano et Charcas, une barre de soufre dans le tiroir d'un bureau d'acajou?



Le Témoin, dans L'Auteur et autres textes
Traduction de Roger Caillois

mercredi 3 juillet 2013

Rêve du changement de saison



Les rêveurs de l'Antiquité voyaient dans leurs songes danser des faunes et des dryades, ceux du Moyen-Âge des anges sonner de la trompette; les rêves on toujours suivi la mode, et il n'y a donc pas de cause sérieuse à l'embarras que peut ressentir un rêveur du vingt-et-unième siècle à avouer que dans bon nombre de ses rêves il se retrouve devant un écran d'une sorte ou d'une autre, à visionner un film, à suivre un feuilleton ou un bulletin d'actualités, à surfer sur le web ou à élaborer une présentation, et pourtant…
... quand ça nous arrive nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment d'inadéquation: est-ce normal que la technologie ait à ce point envahi notre jardin secret? où sont passés les rêves décrits dans les clés des songes? 
Il paraît que si l'on rêve d'un chien, on va recevoir une lettre; si on rêve d'un coq, c'est de l'argent qu'on va recevoir. Pas étonnant que nous soyons tous fauchés: si loin que ma mémoire remonte, je ne me souviens pas que quelqu'un m'ait jamais confié avoir rêvé d'un coq. 
Sérieusement, vous en faites souvent, vous, de ces fameux rêves où l'on perd ses dents, où l'on tombe sans fin, où l'on s'envole? Non, moi non plus: c'est de plus en plus souvent qu'il m'arrive de rêver que je suis devant un film, et que dans le rêve, je sais que c'est un film… et non seulement cela, mais j'en reconnais les codes, et à l'intérieur du rêve, j'adopte une position de critique.  

Il ne faisait pas de doute pour moi, dans ce rêve, que j'étais en train de regarder un feuilleton télévisé: plus précisément le premier épisode de la troisième saison d'une série qui avait déjà conquis son public par un solide sens du suspense. Les personnages principaux (un clone de Bruce Willis et une robuste rouquine) étaient associés dans une agence de détectives privés, et avaient passé les deux saisons précédentes à alterner résolutions d'affaires compliquées et marivaudage. Quelque chose clochait dès le début du nouvel épisode: cadrage serré, fréquents mouvements de caméra, les artifices habituels pour cacher quelque chose au spectateur…  de plus - là encore, on sentait venir une embrouille - ce n'est pas avec son partenaire habituel que la rousse poursuivait une conversation animée, mais avec un individu patibulaire, crâne rasé et dégaine de Marine; je me souvenais vaguement qu'il faisait quelques apparitions dans la saison précédente, mais de quel côté de la barrière était-il, déjà? Flic ou truand? Il n'inspirait pas vraiment la sympathie… Leurs échanges laissaient entendre que c'était l'ex de la belle détective, et, qui l'aurait cru? qu'ils avaient un enfant déjà grand; c'est à cet enfant qu'ils allaient rendre visite. 
Rendre visite? et là le cadre s'élargissait, on découvrait enfin qu'une vitre séparait  nos deux héros de l'adolescent: c'est dans le parloir d'un centre de détention qu'ils étaient venus le retrouver… chapeau, le scénariste, voilà un twist qu'on n'a pas vu venir, ai-je eu le temps de penser avant de me réveiller.