samedi 31 décembre 2011

Rise, and walk with me


Encore une tranche de galette, encore un verre de vin chaud, et tout sera redevenu normal: nous nous serons souhaité la bonne année, nous aurons tiré les rois, la saison des fêtes sera derrière nous. Que nous en reste-t-il? Quand les douze coups de minuit ont emporté l'Esprit du Noël Présent, et dérobé la silhouette de l'Esprit des Noëls Futurs derrière une nuée sombre chaque année plus épaisse, seul l'Esprit des Noëls Passés, petit fantôme indistinct, s'attarde auprès de nous, à la limite de notre champ de vision, dans la fumée irritante des bougies soufflées, dans les débris pailletés des guirlandes dont l'éclat rappelle soudain celui des larmes.
Il y a quelques jours le talentueux John Coulthart nous a rappelé, dans ce billet de son blog feuilleton, que l'on devait à l'animateur britannique Richard Williams une adaptation, d'une inhabituelle fidélité à l'esprit comme à la lettre du conte, du Christmas Carol de Dickens.
La caractérisation de l'Esprit des Noëls Passés y est particulièrement réussie.
Rise, and walk with me

Richard Williams a produit une œuvre très diverse, et si sa notoriété n'est pas aujourd'hui aussi grande qu'elle pourrait l'être (franchement, si je vous dis Roger Rabbit, c'est à lui que vous pensez? c'est pourtant lui qui en a dirigé la partie animée), c'est sans doute qu'il a consacré ses années les plus fécondes à la production et à la réalisation d'un long métrage indépendant contre lequel le sort s'est acharné: The Thief and the Cobbler, dont seule une version mutilée et dénaturée connut une exploitation commerciale: la mésaventure même qui advint quelques années plus tôt à La Bergère et le Ramoneur de Paul Grimault. Moins chanceux que le film de Grimault, qui put après bien des vicissitudes être présenté à nouveau dans une version remontée d'une façon un peu plus conforme aux souhaits de son créateur (sous le titre Le Roi et l'Oiseau) The Thief and the Cobbler n'est visible dans une version complétée tant bien que mal avec des morceaux de story-board et des éléments, plus ou moins finalisés, tirés de copies de travail, que sur Youtube (où on peut la comparer avec la version commercialisée).
Mais Williams a laissé une autre curiosité, encore plus inclassable: les séquences animées qui viennent scander (et subvertir) la narration, par ailleurs très classique, du film de Tony Richardson, la Charge de la Brigade Légère, et lui apporter une touche montypythonesque avant l'heure (vous voulez des liens vers tout ça? Il y en a plein sur feuilleton, et plein d'autres choses intéressantes d'ailleurs, allez-y voir, vous ne le regretterez pas).
Sans amertume, Williams a intitulé The Animator's Survival Kit le volumineux coffret de DVD dans lequel il fait le bilan de ses expériences dans l'animation. L'Esprit de Noël ne me contredira pas (il est trop bien élevé) si je vous suggère que ce peut être un cadeau pour toutes les occasions et pour toutes les saisons.
Allons, au revoir, Esprit de Noël! Tu sais, tu peux revenir nous hanter quand tu veux: pas besoin d'attendre l'année prochaine.

L'illustration de ce billet est extraite du court-métrage d'animation A Christmas Carol (1971), de Richard Williams, produit par Chuck Jones.

vendredi 23 décembre 2011

C'est arrivé, mais on n'en a rien su, ou la juste distance: Morse, 3

- Blackeberg. J’ai grandi ici.
John Ajvide Lindqvist, romancier.

- Blackeberg. J’ai grandi à deux stations de métro de là.
John Nordling, producteur.

- ... que cette histoire s’était passée il y a vingt-cinq ans.
A mon insu peut-être, mais elle a pu se passer.
John Ajvide Lindqvist, auteur et scénariste.

Ce billet est le troisième d'une série de notes consacrées à Morse: ça commence ici et ça continue .

Cette histoire s’est passée il y a vingt-cinq ans et on n'en a rien su. Elle n'a pas fait, comme on dit, de bruit.



Blackeberg, comme c'était avant


Seulement des bruits feutrés. Il y a des tas de choses dans la bande-son de Morse qu'on risque de rater (un peu de la même façon, si on cligne des yeux au mauvais moment, on risque de rater, dans la courte séquence où la réceptionniste de l'hôpital se précipite dans la rue enneigée à la recherche de la bizarre petite fille qu'elle vient de voir s'enfuir pieds nus, un détail à l'arrière-plan de l'image: une minuscule Eli qui, derrière la garde qui lui tourne le dos, grimpe comme un gecko le long de la façade de verre) si on est un instant distrait par le bavardage de son voisin.

Tapotement de doigts légers, sur un bureau, sur une épaule... air sans paroles, fredonné si bas qu’on l’entend à peine sortir d’une bouche fermée d’enfant, et qui suffit pourtant à faire naître sur le visage d’un vieillard le seul sourire qu’on lui verra de tout le film... pièces de monnaie tombant dans la neige des poches du pantalon d’un homme pendu par les pieds... sang coulant goutte à goutte d’un entonnoir dans un jerrican.
Chacun de ces bruits imperceptibles prend dans la bande-son la place exacte qui lui revient.
C’est à juste titre que dans les bonus du DVD le réalisateur rend hommage aux preneurs et aux éditeurs de son de Morse (Mikaël Brodin, Christoffer Demby, Maths Källqvist, Jonas Jansson, Patrik Strömdahl, Per Sundström; applaudissez.) C'est une bande-son d'une rare sensibilité, qui nous place au plus près des acteurs. Si près qu'on peut sentir s'ils ont froid.

Cette histoire s'est passée juste à côté de nous, juste à portée de voix chuchotée, pas plus loin que n'ont roulé les petites choses, pastilles de menthe et lucky pennies, qui sont tombées un jour de nos poches et que nous n'avons jamais revues, à portée du bout de nos doigts comme l'étaient toujours ces voitures miniatures dont nous avons un jour refermé le capot pour ne plus jamais le rouvrir, remplacées qu'elles avaient été dans notre affection par des machines à faire du bruit.


Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.

Touts droits réservés pour l'image illustrant ce billet.

dimanche 18 décembre 2011

La petite mort(e): Morse, 2



Ce billet est le deuxième d'une série de notes consacrées à Morse: ça commence ici et ça continue .

Nous n'avons pas réussi à nous faire peur avec le précédent billet sur Morse, et il est probable que nous n'y parviendrons pas avec le prochain non plus. Alors, offrons-nous au moins, dans celui-ci, un frisson délicieux: celui de citer Baudrillard (c’est cool pour parler d’un film de vampires, non?)

"Pourtant il est une exclusion qui précède toutes les autres, plus radicale que celle des fous, des enfants, des races inférieures, une exclusion qui les précède toutes et qui leur sert de modèle, qui est à la base même de la “rationalité” de notre culture: c’est celle des morts et de la mort.
Des sociétés sauvages aux modernes, l’évolution est irréversible: peu à peu les morts cessent d’exister. Ils sont rejetés hors de la circulation symbolique du groupe. Ce ne sont plus des êtres à part entière, des partenaires dignes de l’échange, et on le leur fait bien voir en les proscrivant de plus en plus loin du groupe des vivants, de l’intimité domestique au cimetière, premier regroupement encore au coeur du village ou de la ville, puis premier ghetto et préfiguration de tous les ghettos futurs, rejetés de plus en plus loin du centre vers la périphérie, enfin nulle part comme dans les villes nouvelles ou les métropoles contemporaines, où rien n’est plus prévu pour les morts, ni dans l’espace physique ni dans l’espace mental.




à vrai dire, on ne sait plus quoi en faire

Même les fous, les délinquants, les anomaliques peuvent trouver une structure d’accueil dans les villes nouvelles, c’est à dire dans la rationalité d’une société moderne - seule la fonction-mort ne peut y être programmée ni localisée. A vrai dire, on ne sait plus quoi en faire. Car il n’est pas normal d’être mort, et ceci est nouveau. Etre mort est une anomalie impensable, toutes les autres sont inoffensives en regard de celle-ci. La mort est une délinquance, une déviance incurable. Plus de lieu ni d’espace/ temps affectés aux morts, leur séjour est introuvable, les voilà rejetés dans l’utopie radicale - même plus parqués, volatilisés. Mais nous savons ce que signifient ces lieux introuvables: si l’usine n’existe plus, c’est que le travail est partout - si la prison n’existe plus, c’est que le séquestre et l’enfermement sont partout dans l’espace/ temps social - si l’asile n’existe plus, c’est que le contrôle psychologique et thérapeutique s’est généralisé et banalisé - si l’école n’existe plus, c’est que toutes les fibres du procès social sont imprégnées de discipline et de formation pédagogique - si le capital n’existe plus (ni sa critique marxiste), c’est que la loi de la valeur est passée dans l’autogestion de la survie sous toutes ses formes, etc, etc. Si le cimetière n’existe plus, c’est que les villes modernes tout entières en assument la fonction: elles sont villes mortes et villes de mort."

Jean Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, pp 195-196, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard 1976.

Merci, Monsieur Baudrillard, de nous avoir aidés à comprendre comment Eli et Oskar vont réussir à survivre dans les badlands dans lesquels il s'enfoncent à la fin du film. Ils seront morts sans doute, mais à la différence des autres, ils sauront qu'ils le sont.

TAP... TAP... TAP... TAPTAP


les voilà rejetés dans l’utopie radicale



Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.

Tous droits réservés pour les images illustrant ce billet.

jeudi 15 décembre 2011

Vaisseaux emplis d'un liquide sombre: Morse, 1



Dans une œuvre d'art, le cordon ombilical n'est pas encore coupé,
il la relie à l'ensemble de nos problèmes, le sang du mystère y circule encore,
les vaisseaux sanguins plongent leurs extrémités dans la nuit ambiante,
ils en reviennent emplis d'un liquide sombre.



Ce billet est le premier d'une série consacrée à Morse: ça continue ici et ici.

Qu’est-ce qui fait peur dans ce “film de vampires”? Les films de vampires, c'est bien censé faire peur, non?
Il coule du sang à l'écran, il en coule même une certaine quantité, mais on n'en retire pas la satisfaction que d'autres films nous ont appris à en attendre. Dans Morse, le sang n’est lié à aucune promesse de volupté, même pas - surtout pas - scopophilique; ce n'est pas une chose agréable à regarder.




Le sang enjolive:
- les thrillers (en flaques sur les scènes de crime, il y brille d'un éclat sombre comme un vernis enfumé sur un tableau de maître);
- les film de sabre de Hong-Kong (il y est d'un joli rouge coquelicot, joyeusement artificiel);
- les films de samouraïs (propulsé par de petites pompes, il y jaillit avec l'exubérance des grandes eaux de Versailles);
- les films de Peckinpah et de ses imitateurs (au ralenti, on nous y fait admirer les calligraphies qu'il sait écrire dans le vide, arabesques palpitantes comme des ailes de papillons).

Dans Morse, ce n'est pas du tout pareil.
Pas plus engageant que les épinards ou les betteraves, ces choses qu'on ne se résigne à absorber que parce qu'on sait qu'on sera puni si on ne le fait pas, le sang se mange, mais il n'a rien d'une friandise, et il vaut mieux avoir très très faim pour finir sa portion. Il coagule vite, et devient une boue rougeâtre qui s’écaille. A l'occasion, il se retrouve stocké dans de vieux bidons de plastique. Ce n'est pas au sang de Lucy Westenra ou de Minna Harker qu'un seigneur des ténèbres conscient de son statut social, soucieux de son image publique, infligerait jamais pareille avanie.



Et alors, il fait peur, ce sang?

Non, il embarrasse.
Comme une tache trop facilement identifiable sur un pantalon, n'est-ce pas, Oskar? Il est sale.

Comme le Voleur de Georges Darien, Eli la vampire pourrait dire: Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse: je le fais salement.
Et c'est peut-être cela que cherche le réalisateur de Morse: avec la vue du sang, non pas provoquer de la peur, mais causer de la gêne: alors, ce n'est que ça, le sang? Rien que quelque chose qui coule, qui s'échappe de nous, sans qu'on puisse l'empêcher? Et après on a honte?

Qu’est-ce qui pourrait faire peur encore?
Le noir, la nuit, aussi, c'est supposé faire peur.
Mais on est dans un pays habitué à tenir à distance ses nuits interminables: les appartements, les cages d'escalier, les couloirs d'hôpital, les places, les rues, dès le coucher du soleil tous sont inondés par la lumière blanc sale des néons. La nuit dans Morse, c'est blanc.
Pourtant, la nuit est quand même une coupure.
Ce qui en suinte, c'est le silence.
Il règne un grand silence pendant ces longues nuits d'hiver scandinaves. Et c'est un silence dur, tassé, comme la neige. On cherche des réponses, et dans Morse, tantôt on n'en trouve pas, tantôt, quand on en trouve, on aurait préféré ne pas. Et on ressent encore de la gêne.
De la gêne, comme celle que cause à Oskar le fait de savoir que, à toutes ces questions qu'il a envie de poser, il n'aura pas de réponse, même s'il les pose à ceux dont on lui dit qu'ils sont là pour lui répondre. Il sait que ça ne sert à rien de questionner son instituteur sur les serial killers - à rien de demander à son père pourquoi son pote mal rasé vient tous les jours à la même heure le rejoindre - à rien de demander à sa mère ce qu'il adviendra de lui après le lycée: ce serait aussi vain que de demander au costaud de la classe "Pourquoi tu me cherches? Qu'est-ce que je t'ai fait?"

Pendant toute la durée du film, ce n'est qu'à Eli qu'Oskar trouve le courage de poser des questions. Et pourtant ce sont des questions difficiles.
- Est-ce que tu es... pauvre?
- Cet argent, tu l’as volé?
- Tu l’as volé aux gens que tu as tués, c’est ça?
- Mais tu es qui?

Et Eli n'est pas en reste. Elle en pose, des questions difficiles, elle aussi; des questions que personne n'aime s'entendre poser.
Comme:
- A quoi tu penses?
- Je te dégoûte?
- Tu me laisses entrer?
Les réponses, pour déplaisantes qu'elles soient, elle en donne, aussi:
- Je suis comme toi.
Et elle insiste:
- Et tu es comme moi.


Le pire, c'est que quand quelqu'un n'a pas posé la bonne question ou donné la bonne réponse, de nouveau, il faut que quelqu'un soit puni au sang: de nouveau, il faut que ça coule, de nouveau, on n'aime pas ça. Et ce sera comme ça toujours: maintenant, on est prévenu, on sait que c'est comme ça que ça marche.
Pourtant ça a fait du bien de poser ces questions, même si on n'en a retiré aucun plaisir. L'alternative, c'était de demander aux grands: C'est ça qu'on fait quand on est grand, on se tape des bières en silence? Et on sait que la réponse, s'il y en avait eu une, on l'aurait aimée encore moins.

Finalement ce n'est peut-être pas à voix haute qu'il faut poser les questions.
Il faut peut-être les attendre dans le silence blanc de la nuit, et alors, elles couleront de source, et les réponses aussi.

Tandis que défile en lettres blanches le générique de fin, un lent fondu fait passer le fond de l’écran du noir au rouge sombre, puis au rouge vif, puis de nouveau au sombre et au noir final.

Ce n'est pas le rouge, la réponse à la question secrète de Morse, c'est le noir.

A l'intérieur des gens, c'est noir.


... parce qu'en fait, je crois que toute la vie se décide
au moment où pour la première fois,
un être doué de raison se demande
si ce sont les adultes qui sont cons,
ou si c'est lui qui se trompe.
Jacques Brel

Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.

Une lecture intéressante, et totalement différente de la mienne, de Morse, sur le blog d'Arkady Knight: Killing Keira.

Tous droits réservés pour les images illustrant ce billet.

dimanche 11 décembre 2011

En attendant la langue universelle


… pour changer un peu, aujourd'hui: un seul billet, plusieurs langues.

Ecrivains méconnus

Une des nombreuses raisons pour lesquelles je visite régulièrement le site de Steve Roden, airform archives, c'est l'apparition occasionnelle de billets comme celui-ci.
Singulière synchronicité: quelques jours plus tôt le journal de Priya Sebastian, Under The Plum Tree, avait publié cet autre billet, qui n'est pas sans affinités avec le même sujet.

En cette saison, les arbres se taisent. N'omettez pas, pour autant, de les saluer quand il vous arrivera d'en croiser.


an invitation to reading


Writers no one reads

One reason - one in many - I keep returning to Steve Roden's blog airform archives, is the casual appearance of entries such as this one.
Odd synchronicity: some days earlier, Priya Sebastian's journal Under The Plum Tree, had featured this entry on a somehow related subject.

This is this time of year, when trees keep silent. Don't forget, however, to greet the ones you may happen to cross the path of.


l'image illustrant ce billet est ©Priya Sebastian, 2011
the picture used as illustration is ©Priya Sebastian, 2011

jeudi 1 décembre 2011

Un de plus!


Quel jour sommes-nous? Voyons...
... mais c'est ton anniversaire, blog!
Joyeux anniversaire!
Lululle t'a préparé une petite surprise: une aubade!
Va la voir, là!

(vous aussi, vous pouvez y aller, c'est à la bonne franquette)