mardi 19 juillet 2011

Signé d’une dague (en marge de Gagner la Guerre, de Jean-Philippe Jaworski)


Fourbissez votre ferraille,
Quotinailles, quetinailles,
Quoquardaille, friandeaux,
Garsonaille, ribaudaille,
Larronnaille, brigandaille,
Crapaudaille, lésardeaux,
Cavestraille, goulardeaux,
Villenaille, bonhommaille,
Fouillardaille, paillardeaux,
Truandaille et lopinaille,
Aiguisez vos grands couteaux.

Jean Molinet (1435-1507)


En prologue ou en épilogue (ça dépend du sens dans lequel vous lisez ce blog), bref en apostille au billet que je consacre (à la demande générale d'Algésiras) à Gagner La Guerre, de J.P. Jaworski, une intéressante citation de Jacques Busse:
Le début du XVI° siècle avait vu paraître dans les pays germaniques une sorte inédite de soudards: les peintres-lansquenets. La Réforme, iconoclaste, les privait de leur art; ses guerres leur procuraient un gagne-pain de mauvaise fortune. Querelleurs, ruffians, en prison quand ils n’étaient pas à Marignan, ils se montraient les dignes émules des compagnons pendables de François Villon. Nicolas Manuel Deutsch*, Urs Graf*, Hans Leu*, entre deux batailles, signaient leurs peintures, désormais combien profanes, d’une dague. Ils ne trichaient pas avec leur nouvelle condition: Hans Leu fut tué sur le champ de bataille de Kappel. C’est souvent le personnage ricanant de la Mort qu’ils représentaient, serrant la ribaude dans ses bras décharnés. Plus que les horreurs de la guerre dont ils étaient complices, célébrant plutôt ses séquelles de rapine, de beuverie, de débauche et de crime, ils créaient ce que les Allemands ont appelé le Galgenhumor, l’humour du gibet.

Gravure d'Urs Graf
(notez le poignard dans le monogramme)
*Nicolas Manuel, dit l'Allemand (Niklaus Manuel Deutsch) (1484-1530) ne fut pas seulement un peintre, mais aussi un poète satirique et un homme politique ; il prit part en 1522, comme chroniqueur militaire, dans les rangs des Suisses au service de François I°, à la campagne du Milanais. Il signait du monogramme NMD, accompagné le plus souvent d'un poignard.
**Urs Graf, (1485-?) s’essaya avec un succès médiocre aux carrières d’orfèvre et de maquereau, c’est en 1529 (année où il signa et data un dernier dessin) qu’on perd sa trace. Un poignard forme une des branches du U (V, en capitales latines) du monogramme dont il usait.
***Le Zurichois Hans Leu le Jeune (vers 1490-1531), mort à Kappel dans les rangs des Réformés qui avaient pourtant détruit nombre de ses œuvres, a un style à la fois calligraphique et poétique (parmi ses oeuvres connues: Orphée musicien).

Pour ceux des lecteurs de ce blog qui sont déjà familiers avec le roman de J-P. Jaworski, GAGNER LA GUERRE, le rapport de ce billet avec le roman sera sans doute évident. Pour les autres: lisez le roman!

Et maintenant dissimulons à nouveau nos visages (sur Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski, 2)


Juste avant de quitter l'Hôtel des Monnaies,
le Podestat nous fit intervertir nos masques,
avant de dissimuler à nouveau nos visages.

Ce billet est la seconde partie d'une note de lecture commencée ici.
Hard-boiled wonderland
"Dans ces fictions - m'étais-je, il y a quelque temps, hasardé à écrire à propos de Janua Vera - la principale menace ne viendra pas de quelque déferlement de ténèbres extérieures - pas de gobelins, d’hommes-reptiles ni de hordes du chaos en vue - mais du plus intime des protagonistes, de leur inséparable part d'ombre". Cela demeure vrai - plus que jamais - dans Gagner la Guerre, même si l'action ménage quelque place aux commensaux obligés des récits de High Fantasy - créatures magiques et sorciers, et même si la magie y constitue une menace constante, d'autant plus inquiétante qu'elle est toujours reléguée à l'arrière-plan (on en constate, ou plutôt on en soupçonne, les effets, plus qu'on ne la voit réellement en action; du moins jusqu'à ce que, lors d'une conflagration longtemps différée, elle fasse une entrée fracassante).
Mais la principale attraction du show, c'est Benvenuto Gesufal lui-même, si douteux qu'il puisse être comme informateur: son charme agit si bien qu'il est impossible de lui en vouloir de lancer le lecteur sur de fausses pistes, de sembler parfois se contredire, et en bref d'enfumer (pour parler comme lui) son auditoire: après tout, ce n'est pas d'aujourd'hui que la fiction s'est mise à questionner la fiabilité de ses propres énoncés, et à faire du narrateur un de ses suspects habituels; la volubilité de l'intarissable Benvenuto ne rappelle-t-elle pas parfois celle d'un certain Verbal Quint?
Ce n'est pas que notre chroniqueur donne l'impression de broder, d'enjoliver ou de tresser des couronnes - pas plus à lui-même qu'à qui que ce soit d'ailleurs; Benvenuto connaît la chanson: à la guerre comme en politique (comme en art et en littérature, cela va sans dire) ceux qui trichent mal sont punis, ceux qui trichent bien sont récompensés. Et c'est tricher sans art que de conter merveilles du jeu qu'on a en main - c'est toujours sur autre chose que ses cartes que le tricheur expérimenté attire l'attention de la compagnie.

Destin farceur
Don Benvenuto croisera plusieurs figures qui peuvent être décrites comme "plus grandes que nature", voire prétendre, selon les critères généralement admis, à une stature héroïque (les vétérans de la bataille de la Listrelle) ou anti-héroîque (le Podestat). Mais, on l'a vu, cette épopée de neuf cents pages se veut résolument non-épique. Quand, au détour d'une aventure commencée dans un bouge et continuée dans une succession de tripots, Don Benvenuto côtoiera un personnage qui, si peu peu disposé soit-il à l'admettre, fut en des temps bien lointains "un putain de héros", sa vision du monde n'en sera pas bouleversée: il continuera à assumer son destin de créature de l'ombre.
Ce destin, pourtant, ne se contentera pas de le confronter à des formes d'héroïsme qu'en l'âge de fer où il vit il peut voir comme d'anachroniques survivances d'un passé révolu; il lui garde encore en réserve une facétie plus piquante: non content de l'avoir fait entrer de force dans la légende, pas par la grande porte, pas même par la petite, mais par les sentines et les soupiraux - quitte à le raboter un peu pour faciliter le passage - il ne lui épargnera l'exécution d'aucune des figures imposées du parcours héroïque: après l'évasion improbable, les combats contre des adversaires absurdement supérieurs en nombre, il ira jusqu'à l'entraîner dans la variante la plus kitsch (celle avec palais en flammes et grand escalier croulant dans des gerbes d'étincelles) du classique des classiques: le sauvetage de demoiselle en détresse, l'acrobatie à laquelle sans doute il s'attendait le moins!
Il essaiera de se faire pardonner ces manquements à son éthique professionnelle en les exécutant de façon aussi peu convenue que possible, et en nous les contant, comme à contre-coeur, d'une plume trempée dans d'acides remontées de piquette. Dandysme de truand, avions-nous d'abord pensé, que ce choix de s'autoportraiturer en manière noire? Pas seulement.

A game with shifting mirrors
Si la complaisance envers lui-même était, dès sapremière apparition, un trait de caractère qui semblait définir Don Benvenuto, celle-ci était toujours teintée d'une affectation de dépréciation de soi, si outrée que l'un des interlocuteurs du bravache lui avait demandé, pas dupe, à quel point elle était feinte. Question à laquelle le lecteur pourra trouver lui-même la réponse: il aura reçu, à la fin du livre, tous les éléments pour le faire, encore que Benvenuto se garde bien d'y répondre jamais directement: d'ailleurs, il perd beaucoup de sa faconde au simple rappel de certains événements de son passé; lui si peu avare de confidences scabreuses, il change brutalement de sujet sitôt qu'il approche de certaines zones.
Est-ce un hasard si l'une des disciplines secrètes que pratiquent ces thaumaturges ressiniens toujours à l'oeuvre, discrètement, dans les coulisses du roman (comme dans les coulisses du pouvoir ciudalien) utilise, justement, les miroirs comme agents magiques? Un prétexte de plus, pour don Benvenuto, d'éviter de se confronter à ceux-ci: un sorcier le lui a dit, pour ces adeptes de la voie obscure, les miroirs sont des judas qui leur livrent les secrets de ceux qui s'y mirent (décidément, Gagner la Guerre, sous ses atours médiévaux, est aussi un fiction de l'âge d'Internet).
C'est dans la plus grande discrétion que cette variante de la catoptromancie, la magie des miroirs, est à l'oeuvre dans le roman; mais si, dans l'intrigue, elle est reléguée à l'arrière-plan, (avec d'autres pratiques magiques ou politiques que don Benvenuto ne se soucie pas de détailler pour nous), elle remplit une fonction métaphorique, symbolique, non négligeable. Dans une étrange promenade onirique, variante du sortilège du Diable Boiteux, Benvenuto a une brève vision de sa ville, Ciudalia, telle qu'elle apparaîtrait à qui pourrait y déplacer son regard de miroir en miroir; ce qu'il y découvre n'étant pas de nature à le rassurer, cette expérience le conforte dans sa méfiance pour les pratiques magiques. Mais si cette méfiance avait permis, dans un premier temps, à notre volubile narrateur de rationaliser son refus de l'introspection… à la longue, peine perdue, il devra se résigner à pactiser avec les miroirs (ces insidieux artefacts déterminés à nous rendre complices de l'action de réfléchir), en accomplissant en dernier recours, pour sauver sa mise, un de ces rituels magiques pour lesquels il éprouvait tant de répulsion. Et c'est aussi d'un miroir que, plus tard encore, surgira - sauveur ou tentateur? - le deus ex machina qui lui offrira sa dernière chance. Après cette intervention littérale dans le récit d'une créature venue de l'autre côté, notre héros défiguré ne pourra plus éviter d'affronter l'image de ce qu'il est devenu.

Till we have faces
C'est alors que nous, lecteurs, réalisons qu'il n'y a pas que de l'affectation dans cette coquetterie paradoxale qui pouvait au départ passer pour un simple procédé d'écriture: l'obstination de Benvenuto (ce prénom ne vous rappelle-t-il pas celui de ce Cellini qui nous a laissé des mémoires où il se dépeint en truand?) à pousser au noir le portrait qu'il brosse de lui-même, jusqu'à en oblitérer les traits, jusqu'à accepter sa défiguration. Faisant écho à son rejet de la carrière de peintre à laquelle il paraissait, à son départ dans la vie, destiné; à son rejet, à l'âge adulte, de tous les modèles qui lui ont été proposés alors qu'il était enfant; le refus de se regarder en face plonge en lui des racines qui vont plus profond que les cicatrices que porte sa chair.
Il avait pourtant assisté, lors de plusieurs rencontres capitales (dans sa prime jeunesse, avec le Macromuopo; en trois occasions, avec le Podestat) à ce curieux phénomène: son interlocuteur changeant radicalement d'attitude à son égard lorsqu'il se reconnaissait en lui, comme s'il lui présentait une surface réfléchissante; et combien fidèlement il l'avait rapporté! Mais il a renoncé à adopter ce point de vue qui aurait pu lui en apprendre autant sur les autres que sur lui-même, et la fin du roman suggère qu'à celui qui a effacé son image, il n'est pas donné de retourner en arrière, et que le destin choisi par celui qui aurait, s'il eût vécu une autre vie, pu être appelé le Gesufal est sans issue.
"Destin de créature de l'ombre", disions-nous plus haut: Gagner la Guerre, c'est aussi, entre beaucoup d'autres choses, l'histoire de Dorian Gray… racontée du point de vue du portrait. Mais qui, dans ce livre, aura été Dorian Gray, en fait? Benvenuto ou le Podestat? A quel moment ont-ils cessé de jouer à intervertir leurs masques?
Aucun homme (avançait Hegel) n'est un grand homme pour son valet de chambre. Sans doute Don Benvenuto, du fond de son enfer personnel, n'hésiterait-il pas à renchérir, dans le style coloré qui est le sien, sur l'auteur de la Phénoménologie de l'esprit :
"Aucun homme n'est un putain de grand homme pour son putain de miroir".

GAGNER LA GUERRE, de Jean-Philippe Jaworski; première édition Les Moutons Electriques, 2009; édition de poche, Folio SF 2011
Bibliographie de Jean-Philippe Jaworski
Une interview dans laquelle le romancier parle de son livre

lundi 18 juillet 2011

A présent intervertissons nos masques (sur Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski, 1)


Juste avant de quitter l'Hôtel des Monnaies,
le Podestat nous fit intervertir nos masques,
avant de dissimuler à nouveau nos visages.



Un jeu avec des masques en mouvement
On porte beaucoup le masque, dans le roman de Jean-Philippe Jaworski; pendant que certains des personnages, soucieux d'apparaître sous leur meilleur profil, font pour cela appel, à grands frais, à des portraitistes, il peut arriver qu'on se fasse tout aussi bien démolir le portrait, sans frais cette fois. On semble redouter par-dessus tout (alors même qu'on est occasionnellement la cible d'arbalétriers embusqués, que des coupe-jarrets veulent, au sens le plus littéral de l'expression, votre peau, que le premier butor venu croit pouvoir vous provoquer en duel - quand ce ne sont pas des corsaires qui essaient de vous envoyer par le fond) d'être confronté à son visage, autant dire à soi-même. "On", c'est le récitant, le protagoniste, le seul à nous offrir son point de vue dans Gagner la Guerre.
Il serait tentant de qualifier de "casse-gueule" (pouvons-nous nous permettre cette trivialité? ne pensera-t-on pas que nous avons grandi dans le ruisseau de Ciudalia?) le projet auquel J. P. Jaworski s'est attaqué après ce coup de maître qu'était le recueil Janua Vera. Outre l'ampleur de l'entreprise (juste un peu moins de mille pages dans l'édition de poche) ce projet cumulait en effet les difficultés, les contraintes, dont la forme choisie par Jaworski nouvelliste l'avait affranchi pour l'écriture de son recueil de textes courts: à la polyphonie parfaitement maîtrisée des pièces composant Janua Vera allait devoir succéder une unité de ton imposée par un narrateur unique, et pas n'importe quel narrateur, de surcroît: nul autre que Don Benvenuto Gesufal (de la Guilde des Chuchoteurs - ne le répétez pas!).

Nous avons identifié l'ennemi. C'est nous.
Bien qu'on retrouve dans ce roman la jactance du narrateur de Mauvaise Donne, ses apostrophes au lecteur, ses apartés bougons, ses sarcasmes, le scribe qui a mis en forme ses mémoires évite de prolonger plus que nécessaire les incursions dans l'argot, se contentant d'un clin d'oeil occasionnel au vocabulaire de la Série Noire: tout le long du roman la langue reste fluide. Et voilà un premier écueil évité!
Si parfois le mauvais garçon se lance au moment où l'on s'y attend le moins dans des descriptions lyriques, a priori surprenantes venant d'un Chuchoteur, cette apparente discordance trouvera son explication en son temps: cet oeil de peintre, cette sensibilité d'artiste, sont le secret et le fardeau de notre renégat (ou du moins, partie de ce fardeau et de ce secret). En revanche, passé un premier chapitre plein de bruit et de fureur (et de régurgitations convulsives), on ne trouvera plus de longues descriptions de batailles, et si, à un moment-clé de l'intrigue, il sera explicitement demandé à Gesufal d'aider son suzerain à gagner la guerre (requête à laquelle il accèdera obligeamment, justifiant ainsi le titre) il le fera en usant des procédés discrets auxquels il nous a accoutumés; et les quelques opérations militaires auxquelles on assistera occasionnellement seront décrites sans fioritures, avec une concise brutalité. A aucun moment, on ne ressentira cette impression de déjà-lu qu'on a si souvent éprouvée, chez tant d'épigones de Tolkien, chaque fois que de sempiternelles trompettes ralliaient de sempiternelles bannières. S'attachant à suivre une quête et surtout une enquête, le romancier ne cherche pas à retrouver les accents épiques qui résonnaient dans certains des textes de Janua Vera: le ton sera, tout du long, celui du polar noir (médiéval certes, mais hard-boiled): collaboration avec Benvenuto Gesufal oblige. Nous voilà passés au large d'un deuxième écueil!
Et cet autre thème récurrent dans la High Fantasy, la confrontation avec l'Autre absolu, l'opposé, le non-récupérable: hé bien, orques, gobelins, hommes-serpents et femmes-scorpions, sphinges laconiques et dragons sentencieux… est-il besoin d'avoir recours à de tels prête-noms quand le narrateur met tant de bonne volonté à dessiner une ligne de partage entre les gens bien nés comme vous et moi, messeigneurs, et les autres, à qui leur couleur (pas la bonne) et leurs moeurs (les mauvaises) interdiront à jamais de s'assimiler aux premiers? Notre Chuchoteur en a bien conscience, tout ce qu'il montre de lui risque de n'être pas toujours du goût de tous; ce que nous pouvons penser de lui, il se pique de ne pas s'en soucier: au contraire, son côté obscur, il met, précisément, une certaine coquetterie à l'exhiber.
Cette obstination pourrait devenir lassante: mais non, dans Gagner la Guerre comme dans Janua Vera, Jean-Philippe Jaworski, tel un Benvenuto Gesufal sur l'arête d'un toit, ne perd jamais l'équilibre: qu'il mette un pied, voire deux, dans le polar noir; qu'il prenne, sur le solide socle référentiel légué par la fiction historique, son appel pour effectuer un saut périlleux du côté de la sword and sorcery; qu'il se rattrape d'un ongle au fragile échafaudage de la fantasy urbaine ou amortisse une réception incertaine en se laissant glisser le long des plis du manteau d'Arlequin du roman picaresque, il ne perd jamais de vue l'objectif qu'il s'est fixé: élucider une conspiration dont tous les acteurs portent des masques, et, même quand son Benvenuto semble musarder en route, c'est bien là qu'il nous emmène; à chacune de ses cabrioles (se jouant de partenaires intéressés qui préfèreraient lui voir traverser les cerceaux qu'il lui tendent) il crève toile peinte après toile peinte, renverse praticable après praticable du décor en trompe-l'oeil dans lequel il évolue.

A l'Image de Janus
Notons en passant qu'il est très souhaitable de lire Janua Vera avant de plonger dans Gagner la guerre; ne serait-ce que pour replacer dans leur contexte les allusions elliptiques que fait Gesufal à l'histoire ancienne et récente des territoires qui composèrent autrefois le Vieux Royaume. On pourra aussi s'amuser de voir évoquer obliquement des personnages et des événements qui, dans Janua Vera (par exemple dans Le service des Dames, Une offrande très précieuse ou Le conte de Suzelle) sont présentés dans une tout autre perspective.
Dans Le Confident et dans Un Amour dévorant, on trouvera les informations sur le culte du Desséché que Don Benvenuto, peu porté sur la transcendance, ne se soucie pas de nous donner ici. Ces détails ne sont nullement nécessaires à la compréhension de l'intrigue du roman, mais ils éclairent certains aspects du rituel célébré aux funérailles du patrice Regalio, et précisent la place occupée par le clergé nécrophore, ainsi que le rapport que les vivants entretiennent avec la mort, dans la culture dont les personnages de Gagner la Guerre sont issus.
Par ailleurs l'apparition soudaine, au détour d'un chapitre, des représentants d'une (forcément très ancienne, forcément évanescente) civilisation d'Elfes pourrait faire l'effet d'une pièce rapportée, d'une concession à une mode, aux lecteurs qui n'auraient pas eu l'occasion d'admirer la maîtrise avec laquelle l'auteur du Conte de Suzelle brodait sur ce motif (pourtant si peu nouveau dans la littérature de fantasy) et l'insérait sans faux raccord dans sa vaste tapisserie de la Léomance.
GAGNER LA GUERRE, de Jean-Philippe Jaworski; première édition Les Moutons Electriques, 2009; édition de poche, Folio SF 2011
Bibliographie de Jean-Philippe Jaworski
Une interview dans laquelle le romancier parle de son livre


vendredi 15 juillet 2011

L'abstracteur étrange



Sur le web, ma trouvaille la plus délectable de ces derniers mois, je l'ai faite faite grâce à une recommandation de messieurs Shang et Gols de Shangols: ce fut If we don't, remember me.

Le principal intérêt de beaucoup de sites de partage en général (et de ceux en tumblr.com en particulier) est qu'ils nous offrent l'occasion de vérifier expérimentalement la validité du théorème garbage in, garbage out: les exceptions comme celle-ci sont particulièrement bienvenues.
Sur If we don't, remember me, à intervalles irréguliers et parfois longs (c'est normal, l'abstraction de la quinte essence prend du temps, tous les alchimistes vous le diront) apparaissent de petites gemmes à l'éclat vacillant, chacune produite par la cristallisation d'une séquence de film en un GIF animé, une boucle parfaite de quelques secondes, oui, mais quelles secondes.