mercredi 18 janvier 2017

The city and the city: le critique et la critique



J, la célèbre écrivaine, regarde dans le vague, suce son porte-plume, le pose et le reprend.
Assis à angle droit par rapport à elle, je la vois de profil:
elle me donne l'impression de prendre ce petit travail d'écriture - commencé presque comme une plaisanterie à usage privé entre nous deux - très au sérieux.

Il faut peut-être que je vous donne une précision: la présence de J à cette table, entre une fenêtre et un miroir, est un peu inattendue. Nous nous connaissons depuis quarante ans, pourtant elle a, jusqu'à présent, passé peu de temps dans mes rêves (c'est un euphémisme: je ne me souviens pas d'un autre rêve qu'elle ait visité).
Pourtant le temps d'une sieste la voilà devenue quasiment mon alter ego: nous nous sommes mis d'accord, elle va m'aider à rédiger la critique que je compte publier bientôt, sur ce blog, de The City & The City, le roman de China Miéville. Elle m'a montré le premier jet de ses notes, et il m'a semblé y reconnaître des phrases que je croyais avoir déjà écrites: "Le monde est bizarre: deux villes peuvent s'y ressembler au point de se confondre dans le souvenir, alors qu'elles sont séparées par des milliers de kilomètres…  
 tandis que deux autres villes, séparées seulement par quelques dizaines de centimètres… "

Que nous ayons, sur la façon de rendre compte de ce roman, des vues aussi proches me semble de bon augure pour notre collaboration.

Une autre précision: dans la vie de tous les jours, J n'est pas une célèbre écrivaine, et jusqu'à l'été dernier où je l'ai accompagnée dans une librairie dont elle a longuement fouillé les rayons à la recherche du Lecteur de cadavres, d'Antonio Garrido, qu'elle voulait absolument lire dans l'avion pendant son long voyage de retour, je n'avais qu'une idée très vague de ses préférences littéraires. Le rêve se joue de ces petites difficultés; nous voilà associés dans cette audacieuse entreprise: rendre compte à quatre mains d'un roman à l'intrigue tarabiscotée, et, ma foi, il me semble que ça ne commence pas mal.

Pendant ce temps, le miroir et la fenêtre nous regardent 
avec une froide hostilité.

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