mercredi 13 février 2013

Ça faisait longtemps


I feel like walking
Do you feel like coming?
I feel like talking, 'cause
It's been a long time


J'ai rêvé de toi la nuit dernière, ça faisait longtemps. 
Nous nous retrouvions une fois de plus dans le village de notre enfance - mais, cela va te faire sourire, ce village de l'Ariège, le rêve lui avait infligé la plus inattendue des transformations.
C'était devenu un paisible village de la campagne anglaise - je savais que ça te ferait sourire - rire, même, à ce que je vois!...  Disons que j'avais dû trop m'attarder la veille sur un de ces romans à énigme à l'ancienne: ce village aurait pu être Saint Mary Mead, ou King's Abbott,  on aurait pu y croiser Roger Ackroyd, ou Miss Marple… un village de carte postale, avec ses cottages écrasés par de grands toits pentus… Dans ce rêve, nous nous tenions justement tous les deux devant un des plus pittoresques: le presbytère! Une minuscule bâtisse à colombages et aux murs de torchis. Une plaque sur le mur signalait son caractère de monument historique, expliquait qu'elle avait survécu à la guerre civile, et détaillait les mesures prises par je ne sais quel trust  pour assurer sa conservation.
Hum, le fait que j'ai retenu tous ces détails te donne à penser que je n'étais pas très attentif à ce que tu disais? Dans le rêve, bien sûr, dans le rêve. Ma foi, tu n'a sans doute pas tort: oui, cette première partie du rêve était dominée par des impressions, non pas sonores, mais visuelles: je revois encore la texture si particulière de ces murs de torchis: je ne sais comment, à un moment une section de ce mur a semblé remplir tout mon champ de vision… 

De quoi nous parlions? Du temps passé, bien sûr, comme toujours.

Un clergyman d'opérette, favoris blancs et costume de tweed, est sorti en se pliant en deux par la toute petite porte, et nous a salué avec componction. La présence de cet homme de Dieu, voilà au moins un point commun entre notre aventure nocturne et l'histoire de Roméo et Juliette. Non, il ne nous a pas mariés secrètement, c'était un rêve très sage.

Je me suis éveillé quelques secondes, puis en me rendormant j'ai replongé dans le rêve. Il avait changé, un tout petit peu: nous étions toujours là, tous les deux, mais soudain, surgi de nulle part, il y avait ton frère aussi. Et il n'était pas venu seul, si je puis dire: notre conversation s'est mise à tourner autour de vos parents. Dans le rêve ils étaient de nouveau ensemble - non, je ne plaisante pas - et ils vivaient de nouveau dans la maison que vous habitiez autrefois, celle que vous avez quittée il y a si longtemps… dans ce rêve-là, à vrai dire, j'étais incapable de me souvenir à quoi elle ressemblait, et ce que vous en disiez ne m'aidait pas: cette maison, toujours dans le rêve, ton frère l'appelait "le château" avec, tu l'imagines, un soupçon de sarcasme dans la voix (ça lui ressemble, n'est-ce pas?); et toi, tu l'appelais plaisamment "l'entrepôt". Oui, ça vous ressemble bien à tous les deux. Apparemment, dans mes rêves je suis meilleur dialoguiste que géographe…  Donc tes parents, revenus pour un temps dans cette demeure ancestrale, voulaient à présent la quitter, définitivement cette fois, et bien qu'entre vous quatre le temps ait été au beau fixe - dans le rêve, toujours - il semblait qu'il se soit élevé un léger différent au sujet de tout le bric-à-brac accumulé dans la maison au fil des années ("l'entrepôt", ha ha) et devine qui inclinait à s'en débarrasser sans façons - dans le rêve? Ta mère! Là, nous quittons le domaine du vraisemblable, n'est-ce pas? Elle était pressée de se défaire de tout, tandis qu'au contraire ton père et ton frère… ah bon? 

Oh. 

Non, je ne savais pas. 

Ça a dû être dur pour ta mère, je suppose. 

Rien du tout? Même les souvenirs de ta grand-mère? Même son clavecin? Je me souviens combien ta mère y tenait. Ton frère? non, il ne m'en avait jamais parlé. C'est que… je ne le vois plus si souvent que ça, en fait.

Des années, oui, c'est ça, des années. Dans les rêves il me semble toujours que c'était hier. Et ta mère, tu sais bien qu'elle ne m'a plus adressé la parole depuis que… 

Je me sens un peu sot à présent, si j'avais su je ne t'aurais pas raconté toutes ces absurdités.

Oui, bien sûr, ça n'a pas d'importance. 
Ce n'était qu'un rêve.


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